Préconisations du Cnesco


Vers une politique globale d'attractivité du métier d'enseignant

Les recherches montrent que la qualité de l’enseignement et donc des enseignants est le premier facteur scolaire associé à une amélioration des apprentissages des élèves.

Recruter, former dans la durée, fidéliser des professionnels experts de haut niveau dans les disciplines qu’ils enseignent mais aussi en didactique et pédagogie est un des défis majeurs d’un système scolaire.

Il s’agit donc d’atteindre des objectifs quantitatifs de recrutement (recruter assez d’enseignants pour faire face aux besoins démographiques, dans chaque classe mais aussi pour les remplacements adéquats). Il s’agit aussi d’atteindre des objectifs qualitatifs dans le recrutement, afin de déployer dans toutes les disciplines et sur tous les territoires, notamment les plus paupérisés, des enseignants experts des apprentissages, formés pour faire face aux défis éducatifs (hétérogénéité scolaire des classes, difficulté scolaire grave, numérique, handicap, employabilité des élèves dans l’enseignement professionnel, apprentissage des langues étrangères dès le primaire…).

C’est, en conséquence, une politique globale d’attractivité du métier d’enseignant qui doit être plus encore développée dans les années à venir, dans un cadre politique cohérent de recrutement, dont la première condition d’efficacité est l’inscription dans la durée, en rupture avec les politiques de stop and go des dernières décennies.

Parce que le métier d’enseignant demeure un métier à vocation, un métier rêvé très tôt par les plus jeunes, et parce que les enseignants français se considèrent aujourd’hui comme mal reconnus dans leurs missions, une meilleure connaissance des pratiques professorales doit être développée, auprès des élèves, des étudiants et surtout du grand public.

Ces actions peuvent être multiples :

  • Tutorat réalisé par les lycéens auprès des élèves en primaire ou au collège, sous la supervision d’enseignants, pour donner le goût de l’enseignement ;
  • Opérations de communication grand public récurrentes pour faire connaitre le métier d’enseignant, au-delà des campagnes ponctuelles de recrutement ;
  • Développement d’un réseau social d’échange entre les enseignants et leurs anciens élèves : les anciens élèves peuvent se signaler auprès de leurs anciens professeurs pour leur faire part des suites dans leur carrière scolaire, étudiante ou professionnelle et des épisodes les plus marquants de leur scolarité à leurs côtés ;
  • « Comment dialoguer efficacement avec les parents » : formation de communication pour les enseignants pour leurs échanges en direction des parents.

Ce qu’ils font ailleurs…

En Allemagne, dans le Land de Brandenburg,  des cérémonies publiques pour la nomination des nouveaux enseignants et le départ à la retraite des anciens sont organisées et permettent d’accroître la visibilité quant aux réussites locales des actions éducatives.

En Estonie, les campagnes de valorisation du métier d’enseignant sont nationales. Entre autres, sont organisés des débats publics, des « journées des professeurs », … Les expériences et réussites locales sont de plus largement médiatisées.

Les politiques de stop and go en matière de recrutement d’enseignants nuisent à la qualité de ces recrutements. Ces politiques inconstantes limitent le vivier de candidats à qui des signaux contradictoires sur l’état des embauches dans l’enseignement selon les périodes sont envoyés. Elles conduisent à un recrutement de moindre qualité  par rapport à un recrutement davantage lissé dans le temps.

Les politiques de recrutement doivent s’inscrire dans la durée, en lien avec les besoins démographiques, avec des indicateurs au moins biannuels sur les futures ouvertures de postes d’enseignants. Plus globalement, les politiques de RH doivent associer dans un cadre global leurs différentes dimensions : rémunération, formation continue, reconnaissance des missions, …

Ce sont aujourd’hui principalement des étudiants en formation initiale à l’université qui se destinent aux métiers de l’enseignement. Il parait nécessaire de développer de façon volontariste une politique de viviers afin d’ouvrir davantage le recrutement : convaincre des professionnels en recherche de reconversion, attirer les étudiants des filières sélectives dont les parcours ne rencontrent aujourd’hui aucune possibilité de reconversion vers l’enseignement, à l’exception des ENS.

Pour cela, plusieurs leviers peuvent être utilisés :

  • Création d’un programme spécifique dédié à l’enseignement au sein des CPGE s’adressant aux étudiants souhaitant se réorienter au cours de ce cursus, notamment dans les classes scientifiques ;

  • Développement d’actions visant à conforter les professionnels dans leur recherche de reconversion :

Développer un programme de formation continue à distance/cours du soir pour les aider à passer les concours ;

Prendre en compte dans les salaires, de façon plus valorisante, les années d’expériences antérieures, notamment celles du secteur privé (aujourd’hui par exemple non reconnues pour les professeurs des écoles, alors que les expériences de cadre le sont pour les professeurs en lycée professionnel) ;

Sécuriser l’entrée dans le métier pour les professionnels en reconversion grâce à un dispositif de formation continue permettant d’atteindre le niveau de master en éducation exigé dans le métier ;

  • Fidélisation des contractuels les plus engagés par une politique de salaire et de formation continue valorisante.

Ce qu’ils font ailleurs…

Aux États-Unis, plusieurs programmes permettent aux individus n’ayant pas suivi de cursus universitaire spécialisé en éducation de devenir professeur. Ainsi, les étudiants venant de terminer leurs études et qui n’auraient pas choisi de modules spécifiques à l’enseignement se voient proposer des cours du soir ou du week-end, et peuvent commencer à enseigner. Des programmes similaires existent pour les professionnels d’autres secteurs. Des mentorats intensifs sont mis à disposition de ces nouveaux professeurs. Le programme   « Teach for America », développé depuis plus de deux décennies,  propose aux meilleurs étudiants (y compris à ceux ayant déjà entamé un parcours professionnel) de devenir enseignants pour au moins deux ans. Un tiers d’entre eux resterait dans la profession même si le programme a été critiqué.

Si durant leur seconde année de master, les stagiaires sont suivis par des tuteurs, les néotitulaires confrontés à une entrée dans le métier souvent associée à une mutation géographique, ont besoin d’être davantage sécurisés dans leurs premières années d’exercice à temps complet. C’est ce que doit permettre le nouvel accord PPCR (Parcours professionnels, carrières et rémunérations) qui fait évoluer l’évaluation et l’accompagnement des enseignants. Ces premiers pas doivent être développés autour d’un accompagnement fort et structuré des néotitulaires, au moins sur les deux premières années.

  • Continuité d’un accompagnement très structuré  pendant deux ans pour les néotitulaires.
  • Objectifs quantitatifs de tuteurs/formateurs détenant un master d’ingénierie pédagogique, atteints grâce à des congés formation.
  • Réflexion sur les temps d’enseignement des stagiaires de master 2, qui apparait lourd pour mener à bien une formation universitaire de qualité et une entrée dans le métier sécurisée.

 

Ce qu’ils ont fait ailleurs…

En Écosse, les temps de cours des néotitulaires sont limités à 70 % du temps normal obligatoire ; les 30 % restants sont consacrés au développement professionnel (développement des approches pédagogiques, participation à des séminaires, …). Pour chaque néotitulaire, un mentor est désigné. Celui-ci voit son temps de cours hebdomadaire réduit de 3h30, afin de pouvoir aider le néotitulaire dans son développement professionnel et son intégration.

À Singapour, après une formation initiale très solide, les programmes d’accompagnement ont une double forme. Au niveau national, les néotitulaires bénéficient d’une formation spécifique les familiarisant avec les valeurs, les principes, les convictions et les attitudes de la profession. Au niveau local (au sein de l’établissement), ils bénéficient du soutien des professeurs expérimentés qui les forment sur les aspects pratiques.

Les tout récents accords PPCR ainsi que l’octroi de nouvelles primes aux professeurs des écoles vont dans le sens d’une revalorisation significative des rémunérations des professeurs tout au long de leur carrière et particulièrement en deuxième partie de trajectoire professionnelle.

Pour autant, les plus jeunes peuvent être confrontés à des mobilités géographiques forcées qui se traduisent par des frais d’installation significatifs et dans certains cas, des difficultés aiguës de logement.

Un effort particulier doit être réalisé, notamment pour les affectations dans les territoires les moins attractifs (primes d’installation renforcées, intégration dans la politique de construction des établissements de logements temporaires, politique de logement social en direction des enseignants pendant une période de temps limitée, …). De telles politiques locales sont déjà initiées par certains départements déficitaires comme la Seine-Saint-Denis.

Ce qu’ils font ailleurs…

En Angleterre et au Pays de Galles, les néotitulaires se voient accordés une prime pouvant aller jusqu’à 4 000 £. Celle-ci est proportionnelle à la pénurie dans la discipline enseignée par le néotitulaire. De plus, lorsque le néotitulaire enseigne durant au moins 50 % de son temps dans une matière où il existe une pénurie d’enseignants, son prêt étudiant peut être remboursé.

Une formation continue obligatoire doit être développée afin de permettre aux enseignants d’accéder, entre autres, aux ressources disciplinaires et pédagogiques les plus avancées scientifiquement.

En lien avec les résultats de la recherche sur des formations continues efficaces dans l’enseignement, cette formation doit avoir les caractéristiques suivantes :

  • Une formation qui s’ouvre à des acteurs hors Éducation nationale, notamment ceux de la Recherche, particulièrement pour la formation des formateurs.
  • Une formation qui s’intègre dans le projet d’établissement et s’inscrit dans une réflexion et une opérationnalisation collective.
  • Une formation exigeante intellectuellement, définie à partir des besoins des praticiens.
Ce qu’ils font ailleurs…

À Singapour, les enseignants sont fortement encouragés à se former tout au long de leur carrière. Ils sont ainsi incités à suivre des programmes universitaires supplémentaires (notamment via des incitations financières comme le paiement des études, une revalorisation salariale correspondant au niveau d’études visé, mais aussi par une flexibilité leur laissant la possibilité de suivre des cours). De plus, une grande attention est portée à leur volonté d’évolution de carrière (trois voies leur sont proposées : enseignement, spécialisation dans un domaine éducatif, management d’équipe), et des formations continues de haut niveau, précises et ciblées leur sont proposées en conséquence. Les établissements dans lesquels les enseignants font des demandes de formation continue obtiennent des postes complémentaires.

Si les principes d’affectation et de mobilité en place actuellement semblent assurer un certain équilibre global, des mouvements à la marge pourraient permettre de donner davantage de flexibilité au système. Par exemple, intégrer une logique de quatre à six grandes zones  géographiques d’affectation dans les concours de l’enseignement secondaire, associées à plusieurs regroupements régionaux d’académies, réduirait les limites géographiques des premières affectations. Confronté à une forte pénurie d’enseignants titulaires, l’enseignement professionnel, qui recrute de nombreux professionnels en reconversion, dotés d’un réseau professionnel de proximité pouvant être mis au service des élèves, pourrait expérimenter une telle organisation.

Les nouvelles générations n’envisagent pas d’exercer strictement le même métier pendant plus de quatre décennies. Or le métier d’enseignant comporte de nombreuses missions qui se jouent également hors de l’enseignement dans la classe (relations avec le quartier d’implantation, mission numérique, projets citoyens transversaux, …). Le développement d’activités de mentorat ainsi que l’amplification des secondes carrières permettent de renouveler le métier tout au long de la carrière.

  • Amplifier le développement, dans tous les établissements, de la reconnaissance de missions collectives exercées par les enseignants, adossées aux Indemnités de missions particulières (IMP) créées en 2015. Mettre en place une organisation proche dans ses objectifs adaptée à l’enseignement primaire.

  • Développer la transmission d’expérience entre les générations : décharge pour les personnels à partir de 58 ans afin de participer à des tâches collectives de leur établissement.