Focus sur l'absentéisme scolaire en France et à l'étranger

La recherche a identifié trois indicateurs tangibles du processus de désengagement scolaire : l’absentéisme, les problèmes comportementaux (autres que l’absentéisme) et la faiblesse des résultats scolaires. À ce titre, le Cnesco a souhaité approfondir la question de l’absentéisme scolaire. Une étude originale menée par Christian Monseur et Ariane Baye (université de Liège) pour le Cnesco, à partir des données PISA, met en évidence les facteurs multiples explicatifs de l’absentéisme.

 

De nombreuses études ont montré l’importance du lien entre absentéisme et décrochage. L’absentéisme est non seulement un éléments prédictif (au sens statistique) du décrochage scolaire, mais il en est un symptôme puissant (Tanner-Smith & Wilson, 2013). L’absentéisme est, en effet, l’un des signes visibles qui peut traduire les premiers pas d’un élève dans l’engrenage du décrochage scolaire.

Selon une étude menée aux États-Unis, les élèves qui décrochent dans le secondaire supérieur (équivalent du lycée en France) ont en moyenne 6 fois plus d’absences au début de leur scolarité (CP) que leurs camarades qui sont allés jusqu’au diplôme, 16 fois plus d’absences au collège et 33 fois plus au lycée (Alexander, Entwisle & Kabbani, 2001). Cette analyse montre ainsi que l’absentéisme fait partie d’un processus qui peut se construire dès le début de la scolarité.

Le rapport de Christian Monseur et Ariane Baye, réalisé pour le Cnesco, à partir des données de l’enquête internationale PISA 2015 (sciences en épreuve majeure), permet de présenter une analyse très précise des facteurs pouvant entraîner l’absentéisme, en France et à l’international.

L'absentéisme scolaire en France

En France, selon les résultats de l’enquête PISA 2015 sur les élèves de 15 ans, dans les deux semaines précédant l’enquête :

L’absentéisme peut se caractériser de différentes manières et à différents niveaux. L’arrivée en retard à l’école est la forme la plus courante, pour plus d’un élève sur deux.

L’absentéisme « perlé » (Cristofoli, 2015), caractérisé par le « séchage » de certains cours est également assez régulier. S’il n’apparaît pas comme un facteur direct de décrochage, il peut être identifié comme un signal visible sur lequel il convient de porter une attention particulière. Ainsi, un élève qui s’absente à certains cours présente presque deux fois plus de risques de s’absenter toute une journée qu’un autre élève.

L’absentéisme d’une journée entière apparaît comme le plus préoccupant, dans l’optique de la lutte contre le décrochage scolaire. Il est le moins fréquent mais touche, cependant, un pourcentage non négligeable de jeunes potentiellement à risque de décrochage.

Pour la suite de l’analyse, nous nous concentrerons uniquement sur l’absentéisme d’une journée entière.

Les facteurs influençant l’absentéisme à l’école

Afin d’analyser finement les facteurs pouvant influencer l’absentéisme scolaire, Monseur et Baye (Cnesco, 2017) ont proposé une étude des résultats de PISA 2015 sur 26 pays de l’OCDE, intégrant dans leurs modèles d’analyse statistiques, 17 indicateurs, relatifs à l’élève (caractéristiques individuelles, parcours scolaires, perception, rapport aux apprentissages) ou à son établissement (composition sociale, taille, climat scolaire…).

Les modèles les plus complexes font ressortir les facteurs individuels, mais aussi scolaires, les plus associés à la probabilité pour un élève de s’absenter. Ainsi, à niveau socio-économique et culturel, filière d’enseignement, taille et climat scolaire de l’établissement… identiques, les indicateurs les plus associés au risque de s’absenter sont :

  • l’absentéisme moyen dans l’établissement (« effet de pairs ») ;
  • le rapport aux enseignements (plaisir d’apprendre, anxiété vis-à-vis des évaluations, sentiment d’être victime d’injustice de la part des enseignants) ;
  • le sentiment d’appartenance à l’établissement ;
  • le statut vis-à-vis de l’immigration ;
  • dans une moindre mesure, les résultats scolaires.

D'importants effets de pairs

Toutes choses égales par ailleurs, un élève a près de 1,5 fois plus de risques de s’absenter si l’absentéisme est élevé dans son établissement. L’étude montre ainsi l’importance de la prise en compte des effets de socialisation entre pairs pour expliquer les comportements d’adolescents fragilisés.

En France, cet « effet de pairs » est particulièrement fort par rapport aux autres facteurs, alors qu’il est nettement moins présent dans les autres pays.

De nombreuses recherches ont montré que les élèves « désengagés » se reconnaissent et s’associent dans une spirale négative qui influence leurs résultats scolaires et leur probabilité de décrocher (Ream & Rumberger, 2008 ; Rumberger & Lim, 2008). Ces élèves sont « prêts à sacrifier leur scolarité pour « plaire » et se fondre dans le groupe. […] Cette identification groupale leur octroie une reconnaissance et une assurance au sein de la société. » (Hernandez, Oubrayrie-Roussel & Prêteur, 2012).

Selon Monseur et Baye, ce résultat tend à renforcer l’idée selon laquelle les établissements devraient constituer des lieux d’affiliation à des pairs « vertueux » plutôt qu’à des pairs souvent absents. La politique d’établissement semble donc un facteur important dans la lutte contre l’absentéisme.

Des liens sensibles entre les élèves et les enseignements

L’étude montre également qu’en France, comme dans l’ensemble des 26 pays de l’OCDE étudiés, le sentiment d’être traité injustement par les enseignants augmente significativement et fortement le risque d’absentéisme. Ainsi, en France, un élève qui s’estime victime d’injustice de la part de ses enseignants a 1,5 fois plus de risque de s’absenter. Par ailleurs, ce sentiment d’injustice est particulièrement plus élevé en France que dans les autres pays de l’OCDE.

Le résultat observé ici, dont la régularité au niveau international est inédite, montre l’importance du rôle des enseignants.

Les recherches montrent que, lorsqu’elle est perçue positivement par les élèves, la relation aux enseignants est un facteur qui améliore les résultats scolaires et prévient les problèmes de discipline, deux facteurs importants du décrochage (Crosnoe, Kirkpatrick, Johnson & Elder, 2004). À l’inverse, les élèves à risque de décrochage témoignent d’attitudes plus négatives envers leurs enseignants (Lessard et al., 2010).

L’inclusion du sentiment d’injustice dans l’analyse (avec les 17 indicateurs) tend à masquer les effets des résultats scolaires sur l’absentéisme. Lorsque le sentiment d’injustice n’est pas pris en compte dans l’analyse, avoir de faibles résultats scolaires augmente le risque d’absentéisme des élèves. Le sentiment d’être traité injustement est étroitement lié aux résultats scolaires et à l’absentéisme, on ne peut donc pas considérer que les résultats scolaires sont sans effets sur l’absentéisme.

Enfin, le plaisir d’apprendre (en sciences) apparaît comme un indicateur associé à un risque plus faible d’absentéisme scolaire. De plus, paradoxalement, l’anxiété par rapport aux évaluations est associée à un risque plus faible d’absentéisme, ce qui laisse supposer que les élèves qui s’absentent ont dépassé le stade de l’anxiété vis-à-vis des évaluations. Sur ces deux dimensions, et contrairement à la France, les indicateurs n’ont pas de lien significatif direct avec l’absentéisme dans la majorité des 26 pays de l’OCDE étudiés.

Qui sont les élèves qui se considèrent injustement traités par leurs enseignants ?

Afin d’analyser plus précisément ce ressenti d’injustice pour la France, Monseur et Baye ont étudié le profil des élèves s’estimant victimes d’injustice de la part de leurs enseignants. Ils présentent les caractéristiques suivantes :

  • les élèves les plus faibles en lecture (plutôt que les meilleurs élèves)
  • les élèves en voie générale et technologique (plutôt que les élèves en voie professionnelle)
  • les garçons (plutôt que les filles)
  • les élèves les plus favorisés (plutôt que les élèves défavorisés)
  • les élèves percevant un climat scolaire négatif

À l’international, ce sont, globalement, les mêmes profils d’élèves qui ressentent ce sentiment d’injustice.

Des établissements auxquels les élèves ne s’identifient pas

La France se différencie par un important « effet-établissement », qui se caractérise notamment au niveau de l’« effet de pairs » évoqué plus tôt.

Ainsi, en France, 19 % des différences entre élèves en termes d’absentéisme tiennent à l’établissement fréquenté. Seules la Hongrie et l’Estonie obtiennent des taux plus importants. Les pays où l’absentéisme entre établissements varie le plus (Suisse, République tchèque, Hongrie, France) sont aussi les pays où les résultats scolaires différent le plus entre établissements.

À l’inverse, les pays qui ont tendance à avoir des établissements scolairement peu ségrégués (résultats scolaires similaires) sont aussi les pays où l’absentéisme diffère peu entre les établissements. Avec un taux d’absentéisme plus ou moins comparable à celui de la France, la Norvège se caractérise par un poids de l’établissement quasi-nul.

Cette analyse montre que l’absentéisme est, en France, un phénomène qui varie substantiellement d’un établissement à l’autre, et qu’il s’agit bien d’une caractéristique que la France partage avec les pays qui ont des niveaux de ségrégation scolaire élevés. En France, la forme la plus sévère d’absentéisme (s’absenter une journée entière) se concentre dans les établissements scolaires les moins performants.

Cette ségrégation est couplée à la faiblesse du sentiment d’appartenance à l’établissement constatée en France par rapport aux autres pays de l’OCDE. Ainsi, seuls 40 % des élèves français déclarent un sentiment d’appartenance à leur établissement, contre 73 % dans la moyenne des pays de l’OCDE (PISA 2015).

Une attention toute particulière mérite d’être portée sur ce sujet car l’analyse de Monseur et Baye met en évidence qu’en France, le sentiment d’appartenance à l’établissement permet de diminuer significativement le risque d’absentéisme.

Ainsi, en France, un élève ayant un fort sentiment d’appartenance à son établissement présente moins de risques de s’absenter, alors que cela n’a pas d’effet dans la plupart des 26 pays de l’OCDE étudiés.

Des caractéristiques individuelles aux effets variables

Toutes choses égales par ailleurs, l’analyse de Monseur et Baye sur les données PISA 2015 montre qu’un élève immigré (né de deux parents étrangers) présente un risque d’absentéisme 1,7 fois plus élevé qu’un élève natif. Ainsi, deux élèves de même origine sociale, aux parcours et résultats scolaires identiques, déclarant la même motivation à apprendre les sciences, qui fréquentent un établissement scolaire identique, mais qui ne différent que par leur statut vis-à-vis de l’immigration, ne présentent pas les mêmes risques d’absentéisme.

L’importance de l’immigration dans l’absentéisme apparaît très forte en France, alors qu’elle n’a pas d’effet significatif dans environ deux tiers des pays étudiés.