Préconisations du Cnesco


Des préconisations pour agir plus efficacement face au décrochage scolaire

Éclairé par les évaluations produites par les chercheurs et le travail collectif de plus de 150 acteurs et décideurs de la communauté éducative, le Cnesco présente ses préconisations pour agir plus efficacement face au décrochage scolaire en France.

Ces préconisations s’articulent autour de trois orientations :

  1. en urgence, des actions dans les établissements visant les élèves les plus à risque dans la période de pré-décrochage ;
  2. sur le long terme, des actions de prévention visant la qualité des enseignements et l’accompagnement des élèves ;
  3. des recommandations améliorant le retour en formation des jeunes décrocheurs.

Qualité des apprentissages, aide à l’orientation mais aussi relations avec les parents les plus éloignés de l’école, amélioration du climat scolaire, développement de l’identité de l’établissement et du sentiment d’appartenance à l’école, attention à la santé, etc. les préconisations du Cnesco – pluridimensionnelles – montrent que la lutte contre le décrochage scolaire doit se développer selon une vision globale.

En urgence, des actions auprès des élèves qui risquent de décrocher

La période de pré-décrochage est un temps d’intervention central pour les équipes pédagogiques. Donner aux professionnels dans l’établissement des outils et des formations permettant d’identifier efficacement les signes précurseurs du décrochage, construire des alternatives aux exclusions pratiquées par les établissements, qui peuvent être de premières expériences de sortie du système scolaire, et tisser des liens très étroits avec les familles les plus éloignées de l’école dès les premières alertes peuvent contribuer au recul du décrochage dans ses premières manifestations.

  • Offrir aux personnels les moyens d’identifier plus efficacement les élèves à risque

Dans les établissements, la fragmentation des informations sur chaque élève (retards, absences, devoirs non faits, etc.) entre les différents membres de l’équipe pédagogique (enseignants, CPE, chef d’établissement, infirmier, etc.) peut conduire à un manque d’identification des élèves en voie de décrochage.

L’ensemble des informations scolaires doivent donc être mutualisées et facilement accessibles à l’aide d’un logiciel d’environnement de travail : notes, appréciations, retards, absences, exclusions de cours, punitions, problèmes de santé, etc. Un outil de suivi de l’activité de chaque élève dans la classe (prise de parole à l’oral, aide de ses camarades, apport de son matériel, respect des consignes, etc.) doit aussi être proposé dans les établissements les plus exposés au décrochage.

Les personnels de l’école et de l’établissement, en particulier les enseignants, doivent être sensibilisés aux différents profils de jeunes qui présentent des risques de décrochage, notamment les « décrocheurs discrets », afin de pouvoir leur apporter une aide ciblée.

Le suivi précis des élèves est particulièrement nécessaire lors des transitions entre les établissements ou les niveaux d’enseignement.

Ils l’ont fait en France…
Le collège Lucie Aubrac à Givors (Académie de Lyon) mène une expérimentation sur la transition CM2-6e. Une grille d’observation est établie, permettant à l’enseignant d’identifier les élèves de CM2 fragilisés : manque d’autonomie, caractère introverti ou trop influençable, angoisses importantes des élèves ou de leurs parents, etc. Les élèves repérés sont amenés à découvrir de façon ludique leur futur collège et en deviennent des ambassadeurs auprès des autres enfants de leur génération. 
  • Recueillir des informations auprès des élèves

Des questionnaires de recensement précoce des élèves peuvent être utilisés pour identifier un risque de décrochage scolaire. Ils s’appuient sur plusieurs dimensions : attitude de la famille par rapport à l’école, projets scolaires, capacités de travail et performances scolaires, confiance en soi, absentéisme, besoin de soutien de la part des enseignants, intérêt pour l’école.

  • Informer les établissements sur leur exposition au risque de décrochage

Certains établissements sont plus exposés au risque de décrochage scolaire du fait à la fois de la composition sociale et scolaire de leur public et de comportements très fréquents d’absentéisme lourd : les effets de pairs tendent à faire entrer l’établissement dans un cercle vicieux de décrochage, le décrochage des uns alimentant celui des autres.

Les établissements doivent donc disposer d’indicateurs de décrochage scolaire, à usage interne et non publics, afin d’avoir conscience de leur positionnement par rapport à ce risque. Une réflexion doit être engagée sur une construction pertinente de ces indicateurs (exemple : suivi longitudinal de cohortes dans et au-delà de l’établissement).

Soutenir les établissements dans le développement de programmes alternatifs aux exclusions temporaires de l’établissement. Ces alternatives associent punition/sanction et intégration à travers un suivi de l’élève :

participer à un travail d’équipe où chacun doit accomplir un maillon du travail, en cas de non-respect des horaires ;

accompagner des agents de service dans leur travail d’entretien et de réparation, en cas de dégradation de biens ;

sensibiliser l’élève à l’importance du travail en équipe et au respect des personnes en participant aux activités de solidarité d’un organisme caritatif local, en cas d’atteinte aux personnes.

Ils l’ont fait en France…
La ville de Montreuil (Académie de Créteil) propose, pour l’ensemble de ses collèges, un accueil des collégiens exclus temporairement. Un contrat est signé par les parents et par le jeune. Différentes activités sont proposées aux élèves : activités autour de l’estime de soi et des compétences sociales, débat autour de l’école, retour sur la sanction, gestion des conflits et de la communication non violente. Dès la seconde sanction, les élèves contribuent aussi à une action bénévole dans une association de la ville (Restos du cœur, Compagnons bâtisseurs, Ohcyclo (réparation de vélos), Les Voyageurs du code (apprentissage du code informatique), etc.). Ce programme de substitution aux exclusions d’établissement a permis de faire reculer le nombre de conseils de discipline.
  • Ne pas attendre que les situations se dégradent pour rencontrer les familles

Apprendre à connaître les familles, particulièrement celles plus éloignées de l’école, dont les enfants peuvent être plus particulièrement touchés par le décrochage, ainsi que le territoire dans lequel s’inscrit l’école ou l’établissement. Généraliser le projet « Mallette des parents », expérimenté et évalué positivement.

Ils l’ont fait en France…
L’école maternelle Grands Pêchers de Montreuil (Académie de Créteil), classée REP+, est ouverte aux familles une matinée par semaine, pour organiser des ateliers cuisine, bricolage, musique, accompagnés par des enseignants.

 

  • Impliquer les familles dans la prévention à la santé des élèves

Des actions de médecine préventive, pour les élèves et leurs parents, doivent être développées : mieux faire connaître les effets négatifs du manque de sommeil sur l’attention, la mémoire et le décrochage scolaire ; repérer les symptômes de dépression et de faible estime de soi aussi associés au décrochage ; valoriser les activités sportives des jeunes et des parents.

Ils l’ont fait en France…
Le lycée polyvalent des métiers Jules Fil à Carcassonne (Académie de Montpellier) a mis en place un projet avec des équipes élèves/parents/enseignants ayant pour objectif de réaliser 10 000 pas quotidiens. Un cours de « step en famille » est également ouvert. 
  • Impliquer les familles dès les premiers risques de décrochage identifiés 

L’envoi d’un SMS, dès la 1re absence non signalée, déjà expérimenté dans certains établissements, doit être généralisé, afin d’informer les familles en temps réel. Il doit permettre de solliciter rapidement un rendez-vous auprès des familles, dès les signes précurseurs du décrochage (retards ou absences, punitions, mauvais résultats scolaires) en convoquant divers professionnels concernés (enseignants de différentes disciplines, CPE, personnels sociaux en faveur des élèves, infirmiers, psychologues de l’Éducation nationale, etc.).

Sur le long terme, une prévention pour tous les élèves

L’école ou l’établissement doivent être définis comme le lieu privilégié de l’action face au décrochage scolaire. Au-delà des attentions portées à la qualité de l’enseignement, déjà longuement examinée par le Cnesco dans ses rapports précédents (sur les apprentissages des mathématiques, de la lecture, de la différenciation pédagogique, etc.), il s’agit aussi de développer la vie et l’identité des établissements, et d’accompagner les élèves, notamment les élèves à risque, pour un accueil plus personnalisé.

  • Varier les situations et contextes d’apprentissage des élèves

L’accompagnement des apprentissages pour tous les élèves est un sujet fondamental sur lequel le Cnesco a déjà présenté de nombreux rapports et préconisations (différenciation pédagogique, enseignement professionnel, lecture, etc.). Le Conseil préconise également de s’inspirer des méthodes pédagogiques de formation continue des adultes, en variant les méthodes d’intervention pour s’adapter à la diversité des situations : exposés entrecoupés d’exercices ou d’échanges, travaux en sous-groupes, jeux de rôles, etc. De même, afin de redonner du sens aux apprentissages, certains contenus peuvent également être associés à la vie quotidienne des élèves, à travers des projets de groupes ou des projets de classes par exemple.

Ils l’ont mis en place en France…
Le lycée professionnel Henri Brule de Libourne (Académie de Bordeaux) propose à ses élèves de gérer leur propre entreprise, au plus près de la réalité professionnelle, grâce à l’application <PAGE> qui reconstitue le fonctionnement d’une entreprise de vente.
  • Redonner une perspective aux choix d’orientation

Le décrochage étant très lié aux orientations subies, notamment en voie professionnelle, chaque élève, quelle que soit son origine sociale, doit pouvoir faire des choix d’orientation de manière la plus éclairée possible, dans un processus d’apprentissage tout au long de la vie.

– Une seconde indifférenciée, qui précède le choix entre voie professionnelle et voie générale ou technologique, doit être expérimentée et évaluée, en permettant aux élèves de découvrir plusieurs métiers dans plusieurs domaines.

– Lancer des programmes sur l’orientation visant à combattre les perceptions genrées des métiers pour élargir les choix des élèves, notamment dans l’enseignement professionnel et éviter ainsi les orientations subies.

Ils l’ont fait à l’étranger…
En Autriche, Bulgarie, Allemagne, Italie, Lituanie et Slovénie, le projet « Boys in Care » vise à inciter les jeunes hommes en situation de décrochage à s’orienter vers des formations menant à des professions à dominante féminine (soins de santé, éducation de la petite enfance, enseignement primaire, etc.). Enseignants et conseillers d’orientation sont formés et disposent d’une mallette d’outils pédagogiques.
  • Développer le sentiment d’appartenance à l’école ou à l’établissement 

Le sentiment d’appartenance à l’établissement étant particulièrement faible en France (et directement lié au risque d’absentéisme), il apparaît indispensable de mener des actions spécifiques pour co-construire une culture commune au sein des établissements, et pour créer des relations fortes entre l’établissement, les élèves, les familles, et le territoire.

Au niveau des élèves : développer leur capacité à s’exprimer, discuter avec eux des règles de vie dans l’établissement, favoriser leur autonomie, faire vivre pleinement les instances d’expression des élèves, développer les activités extra-scolaires dans l’établissement, notamment en lycée professionnel (le rapport du Cnesco sur la qualité de vie à l’école ayant mis en évidence un sous-développement net de ces activités dans ces établissements).

Ils l’ont fait en France…
Les élèves du collège Vauban de Belfort (Académie de Besançon), classé REP, ont développé un projet innovant autour de la confiance accordée à ses élèves. Ces derniers ont accès au CDI de manière autonome, grâce à un système de badges, nommés Pass. Ces badges sont remis sous réserve du respect du règlement intérieur et de leur capacité à travailler dans le calme.

Au niveau des personnels : améliorer le cadre physique des conditions de travail, créer des salles de réunion dans tous les établissements, expliciter les codes de vie à partager et en discuter collectivement entre enseignants d’une même classe et au niveau de l’établissement.

Vis-à-vis de l’extérieur : favoriser des initiatives fédératrices et valorisantes, communiquer sur l’ensemble des activités et des projets réalisés, établir des liens de confiance avec des acteurs locaux.

Ils l’ont fait en France…
L’école maternelle Marcel Cachin à Saint-Junien (Académie de Poitiers) a mis en place un chemin d’œuvres d’art à l’entrée du collège Paul Langevin à Saint-Junien (Haute-Vienne). Ce projet permet aux collégiens de pénétrer chaque jour dans un espace fait pour eux et surtout par eux. Ce travail a fait collaborer les élèves de l’école maternelle Cachin, les élèves des classes ordinaires du collège et ceux de la SEGPA, ainsi que plusieurs artistes (plasticien et groupe vocal).
  • Améliorer le climat scolaire dans les établissements

Le règlement intérieur doit être explicité auprès de tous afin d’adopter des règles de vie partagées dans la classe et dans l’établissement.

Des programmes d’éducation en faveur des compétences psychosociales des élèves doivent être développés :

– capacité à reconnaître ses émotions ;

– capacité à contrôler ses émotions ;

– empathie envers les autres ;

– capacité à gérer les relations aux autres et à résoudre des conflits ;

– capacité à prendre des décisions responsables.

Ils l’ont fait en France…
Un programme d’éducation en faveur des compétences psychosociales des élèves est proposé par l’Instance régionale en éducation et promotion de la santé des pays de la Loire (IREPS). Ce dispositif a pour but de développer des compétences psychosociales chez les enfants et les jeunes. À l’initiative de certaines municipalités ainsi que de certains inspecteurs de circonscription, les personnels municipaux chargés du temps périscolaire, ainsi que les enseignants, reçoivent une formation, mettent en place des séances sur les temps périscolaires et dans les classes. Ce dispositif présente l’avantage d’associer l’ensemble des personnels éducatifs responsables des enfants dans la journée. Il est en cours d’évaluation.

Les retours en formation

Parmi les voies du raccrochage des jeunes sortis précocement du système éducatif, la conférence de comparaisons internationales a exploré, de façon privilégiée, le retour en formation. Une politique efficace en faveur du raccrochage scolaire doit se préoccuper d’identifier systématiquement les jeunes « perdus de vue », d’élargir l’offre de retour en formation, notamment pour les 16-18 ans, et d’évaluer l’efficacité et l’efficience des dispositifs de raccrochage.

L’identification des jeunes sortis précocement du système scolaire a fortement progressé durant les dernières années, sans que tous les jeunes puissent être pour autant systématiquement ni repérés ni contactés quand ils sont identifiés. Il faut donc s’assurer que tous les jeunes en situation de décrochage scolaire sont intégrés dans le système interministériel d’échange d’informations relatives au décrochage scolaire (SIEI), existant depuis 2010 pour aider les plateformes locales de suivi et d’appui aux jeunes concernés. En particulier :

  • développer un identifiant unique pour chaque élève ;
  • mieux prendre en compte les décrocheurs déjà intégrés dans les formations en apprentissage en associant notamment les chambres consulaires et les formations pré-qualifiantes des régions, et connecter le SIEI avec le système d’information du ministère de la Défense, qui organise les Journées défense et citoyenneté (JDC) où s’effectue un repérage des jeunes sortis précocement du système éducatif ;
  • assurer un suivi en continu des décrocheurs.

Même s’ils sont identifiés et contactés, les décrocheurs ne bénéficient pas toujours d’une solution correspondant à leur profil et leurs attentes, notamment les mineurs de 16 à 18 ans exclus de nombreux dispositifs de raccrochage réglementairement ou dans les faits. L’offre de rescolarisation, notamment celles de structures de retour à l’école du ministère de l’Éducation nationale (micro-lycées, structures scolaires experimentales, etc.) doit être renforcée et distribuée sur tout le territoire.

Pour répondre aux attentes des jeunes, l’État et les régions doivent aussi diversifier les solutions apportées par les plateformes de suivi et d’appui : rescolarisation mais aussi préparation à l’alternance, service civique adapté, accompagnement socio-professionnel.

Des solutions de transports et d’internats, notamment pour les décrocheurs en zones rurales, doivent rendre accessibles les solutions proposées.

Les familles doivent se voir proposer un « guichet unique », en renforçant le rôle des Missions de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS) qui coordonnent l’ensemble des acteurs du dispositif.

Un plan ambitieux d’évaluations rigoureuses et systématiques doit être développé sur l’efficacité et l’efficience de l’ensemble des dispositifs de retour à l’école (micro-lycées, Écoles de la deuxième chance (E2C), Établissement pour l’insertion dans l’emploi (EPIDE), etc.) et sur le devenir des jeunes, au-delà des « sorties positives » mises en avant, et au regard du coût des prises en charge.