Institutions et politique


Les lycéens s’éloignent des institutions et des engagements civiques traditionnels

Historiquement, la France est un grand pays d’éducation à la citoyenneté et y consacre des ressources importantes. C’est le pays européen dans lequel les élèves commencent le plus tôt leur apprentissage de la citoyenneté, dès l’âge de 6 ans. Cet apprentissage s’étale ensuite sur 12 ans (le plus long en Europe), avec un nombre annuel d’heures d’enseignement à la citoyenneté dégressif tout au long de la scolarité (Bozec, Cnesco, 2016 ; Eurydice). Malgré cet investissement, le lien entre les lycéens, les institutions et la vie citoyenne semble s’effriter. L’enquête du Cnesco confirme qu’une part importante des lycéens développe une véritable défiance vis-à-vis du système démocratique. Les engagements militants dans les partis politiques et les syndicats sont peu attractifs pour les jeunes. La participation électorale, notamment aux élections nationales (présidentielles et législatives), plébiscitée par les lycéens fait cependant exception dans cette désaffection des formes traditionnelles d’engagement.

Une confiance limitée dans leur pouvoir démocratique et dans les institutions

Avant d’analyser l’engagement des lycéens dans la vie de la société, il apparaît nécessaire d’étudier leur confiance dans le système démocratique ainsi que la perception qu’ils ont dans leur capacité à participer à ce système.

Ce que dit la recherche

Le concept d’efficacité politique remonte aux années 1950 (Campbell et al., 1954) et traduit à la fois le sentiment d’influence d’un citoyen sur le processus politique et sa confiance dans le gouvernement. Les recherches ont ensuite conduit à séparer ces deux notions (Acock et al., 1985 ; Craig et al, 1990).

Confiance dans le système démocratique

Les études internationales ont mis en évidence une faible confiance dans les institutions de la part des adultes français (OCDE, 2016). L’enquête inédite du Cnesco montre que cette défiance se développe avant l’âge adulte.

Une majorité d’élèves de Terminale (61 %) développe une confiance modérée dans le système démocratique. Seuls 13 % des élèves ont fortement confiance dans ce système. À l’opposé, un élève sur quatre n’a pas du tout, ou peu, confiance dans le système démocratique. Les garçons sont, proportionnellement, plus nombreux à avoir une faible confiance dans le système démocratique.  Il en est de même pour  les élèves scolarisés en lycées professionnels, les jeunes dont les parents ne s’intéressent pas du tout à l’actualité et les élèves déclarant plus souvent de mauvais résultats scolaires, mais également des résultats excellents .

Concrètement, les élèves ayant le moins confiance dans le système démocratique ont le sentiment que la participation aux différentes élections (municipales, départementales, présidentielles…) a une faible influence sur les décisions. De plus, ils ont une confiance limitée dans les institutions.

Près de 4 élèves sur 5 déclarent faire peu, ou pas du tout, confiance au gouvernement. De même, seuls 13 % des élèves de Terminale font confiance aux partis politiques. La confiance dans les administrations apparait plus élevée mais variable selon les secteurs. L’armée recueille la confiance d’une grande majorité de lycéens (74 %) alors que la police (56 %) et la justice (46 %) divisent plus les lycéens .

Confiance des élèves de Terminale dans les institutions 

Ce que pensent les Français

Le baromètre de la confiance politique (CEVIPOF – OpinionWay, 2018) indique également une très faible confiance des français, tous âges confondus, dans les partis politiques. Ainsi, seuls 9 % des français déclarent avoir confiance dans les partis politiques. La confiance des Français dans l’armée (75 %) et la police (73 %) est élevée, là où la justice recueille 44 % de confiance.

Et ailleurs, ont-ils plus confiance ?

Une enquête internationale (OCDE, 2016) permet de comparer la confiance dans le gouvernement entre les pays de l’OCDE. Chez les jeunes (15-29 ans) comme sur l’ensemble de la population, les Français ont, en moyenne, moins confiance dans le gouvernement que leurs homologues d’autres pays. Ainsi, seuls 31 % des jeunes Français déclarent avoir confiance dans le gouvernement, contre 44 % en moyenne dans l’OCDE. L’indicateur présente des disparités importantes : le taux de confiance dépasse 60% en Allemagne, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande ou encore en Suisse.

Confiance envers le gouvernement chez les 15-29 ans dans les pays de l’OCDE

Confiance dans leur capacité à agir politiquement

Aux côtés de la confiance dans les institutions, l’engagement citoyen s’appuie aussi, comme le montrent de nombreuses recherches, sur le sentiment qu’a chaque individu de comprendre les problèmes politiques et de pouvoir peser sur la vie de la cité (appelé sentiment d’efficacité politique interne par les politistes). Les comparaisons internationales montrent que cette perception de la capacité à influer sur la vie politique est particulièrement faible en France comparativement aux autres pays de l’OCDE.

Comme le montre l’indicateur sur le sentiment d’efficacité politique interne des lycéens, construit par le Cnesco à partir des questions présentées dans le tableau ci-après, une majorité d’élèves de Terminale (60 %) développent une confiance modérée dans leur capacité à participer au système démocratique. Seuls 13 % des élèves ont fortement confiance dans leur capacité de participation. À l’opposé, plus d’un élève sur quatre ne s’estime pas du tout, ou peu, capable de participer au système démocratique. Les filles sont, proportionnellement, plus nombreuses à avoir une faible confiance dans leur capacité à agir politiquement. Il en est de même pour les élèves scolarisés en lycées professionnels,  les élèves déclarant de mauvais ou pas très bons résultats et les enfants dont les parents ne s’intéressent pas du tout ou peu à l’actualité.

Concrètement, ces élèves ont le sentiment d’en savoir moins que les autres sur les sujets politiques et de les comprendre plus difficilement. Ils se sentent moins légitimes pour participer à des débats et, plus globalement, à la vie politique.

Comme le montre le tableau ci-après, les deux dimensions de l’indicateur du sentiment d’efficacité politique interne ne se comportent pas strictement de la même façon. En ce qui concerne la dimension « maitrise de connaissances civiques », une majorité de lycéens a confiance dans sa capacité à maîtriser les connaissances sur les sujets d’actualité, condition pour participer à la vie civique. Ainsi, 54% d’entre eux affirment comprendre bien les questions politiques qui concernent la France. En revanche, les lycéens sont nettement moins bien positionnés sur les dimensions « Expression et participation civiques ».  Seule une minorité de lycéens (47 %) déclarent avoir des opinions politiques qu’il serait intéressant d’écouter. Et ils ne sont que 37 % à déclarer qu’ils se sentent capables de participer à la vie politique.

Questions intégrées dans l’indicateur du sentiment
d’efficacité politique interne (capacité à agir politiquement)

Élèves ayant un sentiment d’efficacité politique
externe (confiance dans le système démocratique)
et interne (confiance dans la capacité à agir politiquement) faible ou nul

Au total, un élève de Terminale sur dix peut être considéré comme ayant peu confiance à la fois dans le système démocratique et dans sa capacité à participer à ce système.

Des intentions d’engagement intermittent dans le vote lors des élections

Au fil des années, la tendance à participer au système électoral a diminué dans la plupart des pays européens (Algan et Cahuc, 2007 ; Braconnier, 2010). Les dernières élections nationales (présidentielles et législatives 2017) ont marqué une nouvelle étape dans le désengagement des électeurs, notamment des plus jeunes. Ainsi, seuls 18 % des 18-24 ans ont voté, en 2017, à chaque tour des élections présidentielles et législatives, contre 32 % en 2002 (Insee, 2018). Pour autant, les jeunes continuent à participer aux élections à travers un vote, non plus systématique, mais intermittent qui traduit une mobilisation ponctuelle liée aux enjeux propres à chaque élection : en 2017, 63 % des 18-24 ans ont voté au moins une fois lors des élections présidentielles et législatives, contre 54 % en 2002.

L’enquête réalisée par le Cnesco proposait aux lycéens de se projeter dans leurs votes futurs. Elle montre que la participation électorale est toujours plébiscitée par les lycéens. Ainsi, les élèves de Terminale pensent majoritairement voter aux élections nationales (88 %) et aux élections locales (80 %). Les élections européennes rencontrent, elles, moins d’intérêt (66 %).

Si l’adhésion au vote, notamment aux élections nationales présidentielles apparait élevée, dès la Terminale, certaines jeunes présentent des comportements très marqués, à distance de la participation électorale.

Les non-votants

9 % des élèves de Terminale déclarent qu’ils ne souhaitent pas du tout voter, à quelque élection que ce soit (locale, nationale ou européenne). Les garçons et les élèves ayant de mauvais ou d’excellents résultats sont plus nombreux à déclarer qu’ils ne participeront à aucune élection. Ces élèves sont plus souvent scolarisés dans un lycée professionnel. la qualité des textes produits.

Les super-votants

62 % des élèves de Terminale envisagent de participer à toutes les élections (locales, nationales et européennes). Les filles et les élèves déclarant avoir de bons résultats envisagent plus souvent de participer à toutes les élections. Ces élèves sont plus souvent scolarisés dans un lycée général et technologique.

Un engagement politique limité, particulièrement chez les filles

Si la participation électorale se révèle plus intermittente que déclinante, l’engagement politique militant apparait lui limité chez les lycéens dans l’enquête du Cnesco : seulement 12 % des lycéens déclarent s’être déjà engagés en politique. Il s’agit d’élèves déjà très engagés dans la vie de la société, 90 % d’entre eux ayant également un engagement humanitaire ou environnemental. L’engagement politique est plus fort en lycée professionnel (21 %). Surtout, l’engagement politique apparait également comme un marqueur fort d’inégalités filles/garçons. En effet, dès le lycée, les filles sont presque deux fois moins nombreuses à s’engager dans un mouvement politique (9 % vs 16 %).

Enfin, les élèves immigrés de première génération sont plus nombreux à s’engager dans les mouvements politiques (20 %).

Un plus grand désintérêt chez les lycéens issus de familles défavorisées

Les lycéens dont l’environnement familial est socialement défavorisé sont ceux qui ont le moins confiance dans le système démocratique (28 % n’ont pas du tout ou ont peu confiance, contre 21 % des favorisés).

Ces résultats ont des conséquences sur les intentions de vote de ces lycéens, plus faibles que pour les autres élèves. Ainsi, 81 % des lycéens socialement défavorisés ont l’intention de voter aux élections présidentielles, contre 94 % des lycéens favorisés. L’écart entre les élèves défavorisés et les élèves favorisés atteint même 20 points sur les élections européennes (59 % contre 79 %). Les élèves défavorisés sont, proportionnellement, quatre fois plus nombreux (16 %) que les élèves favorisés (4 %) à déclarer qu’ils ne voteront jamais.

Les engagements syndicaux traditionnels relativement peu attractifs

L’enquête menée par le Cnesco interrogeait aussi les jeunes sur leur volonté de s’engager, à l’âge adulte, dans des syndicats. L’adhésion à un syndicat, qui représente une forme d’engagement structuré (par opposition à un engagement ponctuel), est relativement peu plébiscitée par les lycéens (33 %).