Facteurs de décrochage


Les facteurs du décrochage scolaire

De nombreuses recherches mettent en évidence des facteurs du décrochage scolaire, à la fois individuels et contextuels. Il est cependant difficile de rendre compte des interactions entre ces facteurs.

 

Les facteurs individuels : genre, milieu social, milieu familial, facteurs psychosociaux, compétences scolaires

Le genre

DES EFFETS…

Le genre apparait comme une caractéristique déterminante. En France, 10,1 % des hommes de 18 à 24 ans sont des sortants précoces, contre 7,5 % des femmes (RERS, 2017).

Cette meilleure réussite scolaire des filles peut être attribuée à la différenciation genrée des rôles sociaux, souvent renforcée par la socialisation scolaire (Duru-Bellat, 1995), et qui prépare davantage les filles au respect et à l’intériorisation des normes de l’école (Baudelot & Establet, 1992).

En France, des modélisations ont été réalisées sur les enquêtes longitudinales conduites par la Depp et portant sur les parcours des élèves à partir de la première année de l’enseignement secondaire (sixième). L’ensemble des études réalisées montre que, à niveau scolaire égal, les garçons ont un risque de décrochage scolaire plus élevé que les filles (Caille, 1999 ; Coudrin, 2006 ; Afsa, 2013). Les résultats de ces modèles suggèrent donc l’existence d’un effet de genre spécifique, qui ne se réduirait pas aux seules inégalités de compétences scolaires.

MAIS…

Les variables scolaires prises en compte dans les études précédentes se limitent au niveau scolaire mesuré en début de collège par des tests standardisés. Elles n’incluent pas d’autres variables portant par exemple sur le rapport aux normes scolaires ou sur l’engagement dans les activités d’apprentissage. Quand celles-ci sont prises en compte, l’effet propre du genre sur le risque de décrochage scolaire tend à disparaître (Rumberger, 1995, Janosz et al., 1997). Ces travaux apportent des éléments décisifs sur l’importance de l’expérience scolaire dans toute sa complexité.

Le milieu social

DES EFFETS…

L’ensemble des recherches est unanime quant à l’effet du milieu socio-économique sur le risque de décrochage scolaire. En effet, le risque est plus élevé pour un enfant issu de milieu populaire que pour celui issu de milieu favorisé, à compétences scolaires identiques.

L’étude de Ratcliffe et McKernan (2010), à partir d’un suivi de cohorte de la naissance à l’âge de trente ans, montre que les personnes nées pauvres ont trois fois plus de risque de sortir de l’école sans diplôme que les autres.

Parmi les indicateurs de milieu social, le niveau de diplôme des parents, et particulièrement celui de la mère, semble le plus déterminant (Caille, 1999 ; Hauser et al., 2004 ; Coudrin, 2006 ; Afsa, 2013). Une implication familiale importante (aide aux devoirs, contrôle du travail scolaire), des attentes positives vis-à-vis de l’école, une réactivité des parents aux difficultés scolaires, une attitude encourageante et valorisante diminuent le risque de décrochage (Ekstrom, Goertz, Pollack et Rock, 1986 ; Rumberger, 1995, 2004 ; McNeal, 1999 ; Janosz, 2000 ; Janosz et Leblanc, 2005 ; Fortin, Royer, Potvin, Marcotte et Yergeau, 2004). Or, ce sont précisément ces pratiques qui sont plus fréquentes dans les milieux socialement favorisés, et moins répandues dans les milieux populaires (Le Pape, 2009, Van Zanten, 2009). Ces facteurs de différenciation sociale interviennent tôt dans la vie de l’enfant, avant même la scolarité élémentaire (Jimerson, Egeland, Sroufe et Carlson, 2000).

MAIS…

Le travail le plus récent portant sur une modélisation logistique est celui d’Afsa (2013) à partir des données du Panel 1995 de la Depp. L’effet de la catégorie sociale est fortement diminué quand on prend en compte l’ensemble des variables de contrôle, en particulier le niveau scolaire mesuré en classe de 6e, celui-ci captant une partie de l’effet du milieu social. Toutefois, le risque de décrocher augmente de 4,9 points de pourcentage pour les enfants d’ouvriers par rapport aux enfants de cadres, à compétences scolaires identiques en 6e.

La structure familiale

DES EFFETS…

Les enfants issus de familles monoparentales semblent avoir un risque de décrochage plus élevé (Hauser et al., 2004, Janosz, 2000 ; Caille, 1999 ; Bénabou et al., 2004 ; Afsa, 2013).

MAIS…

Cependant, une fois contrôlé le statut socio-économique, cet effet est relativement faible.

L'origine migratoire

DES EFFETS…

Les recherches aux États-Unis montrent un écart des taux de décrochage impressionnant entre les jeunes Blancs d’une part, et les jeunes Noirs, Hispaniques et Amérindiens d’autre part. Cependant, presque toutes les études empiriques montrent que ces différences sont imputables en grande partie, voire totalement, aux différences de statut socio-économique des groupes ainsi distingués (Rumberger, 1995, Cameron et Heckman, 2001, Hauser et al., 2004, Lofstrom, 2007).

À partir du Panel 2007 de la Depp, en France, Caille (2014) mesure le risque d’être sorti de formation initiale cinq ans après l’entrée en 6e. L’intérêt de cette étude est de distinguer les enfants d’immigrés selon leur origine migratoire. Or, quand on contrôle les variables d’origine sociale et de niveau scolaire, il apparaît que les enfants d’immigrés du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne décrochent, à ce moment de la scolarité, moins souvent que les enfants de familles non immigrées.

On retrouve des résultats similaires aux Pays-Bas (Traag et van der Velen, 2008) et en Finlande (Kilpi-Jiakonen, 2011).

MAIS…

En France, peu de travaux intègrent ce genre de question.

Le profil psychosocial

DES EFFETS…

Les troubles du comportement, comportements agressifs, conduites délinquantes et états dépressifs sont corrélés au risque de décrochage (Jimerson et al., 2000 ; Fortin et al., 2004 ; Blaya, 2010).

MAIS…

Il est toutefois difficile d’établir une relation de causalité entre ce tableau comportemental et le décrochage scolaire. Jimerson et al. montrent en particulier qu’il s’agit davantage d’un marqueur d’un processus déjà engagé, dont l’origine se situe dans la qualité de l’environnement familial et la qualité des soins dispensés à l’enfant dans les premières années de sa vie.

Les caractéristiques scolaires des individus

Les estimations à partir de modèles logistiques placent les caractéristiques scolaires des élèves comme étant les prédicteurs les plus puissants d’un décrochage secondaire, et ce d’autant plus que les difficultés scolaires rencontrées par les élèves sont précoces (Jimerson et al., 2000, Battin-Pearson et al., 2000, Franklin et Streeter, 1995, Hirschman et Pharris-Ciurej, 2006, Janosz et al. 1997, Rumberger 1995, 2004, Broccolichi, 1998, Caille, 1999, Coudrin, 2006).

Dans le cas de la France, les plus forts prédicteurs de la sortie sans qualification du système éducatif sont le redoublement en collège (Caille, 1999) ou le niveau scolaire à l’entrée en 6e  (Coudrin, 2006), et, pour la sortie sans diplôme, le redoublement en primaire (Bénabou et al., 2004), et le niveau de compétences en mathématiques et en français mesuré par des tests standardisés (Afsa, 2013). L’étude de Caille sur le Panel 2007 montre clairement l’effet propre du redoublement sur le risque de sortir précocement du système éducatif (dans les cinq années qui suivent l’entrée en 6e) : l’effet de l’âge est plus important dans ce cas que l’effet du niveau scolaire (Caille, 2014).

Les facteurs de contextes : territoires et établissements

Les territoires

On peut constater de très fortes inégalités territoriales de risque de décrochage scolaire, qui ne se réduisent pas aux différences de compositions sociales des populations (Boudesseul et al., 2016). Les travaux existants permettent de relier ces inégalités à quatre ensembles de facteurs décrits ci-dessous.

  • Les caractéristiques économiques et sociales de la population résidant sur le territoire

Boudesseul, Caro, Grelet et Minassian (2016), à partir de l’unité territoriale que représente le canton, mettent en évidence les liens entre les caractéristiques socio-économiques et le décrochage, soulignant ainsi une forte hétérogénéité des contextes locaux. La carte sur les zones à risques d’échec scolaire (voir page suivante) met ainsi en évidence sept classes de territoires, plus ou moins favorisés socialement et économiquement, et donc plus ou moins favorables à la réussite scolaire des jeunes. La carte sur la part des non-diplômés parmi les 15-24 ans non scolarisés (voir page suivante) montre la plus ou moins grande ampleur du décrochage scolaire selon les territoires. Si dans l’ensemble, le décrochage scolaire est très important dans les espaces les plus défavorisés socialement, comme par exemple dans les Hauts-de-France, il peut l’être également sur d’autres territoires, comme par exemple en Aquitaine ou sur le pourtour méditerranéen, suggérant l’existence d’autres facteurs locaux.

  • Le marché du travail local

Le marché du travail local produit des incitations et des opportunités pour l’arrêt des études (marché local du travail attractif en emplois peu qualifiés) ou au contraire pour investir dans la formation (McNeal, 2011).

  • L’offre de formation sur un territoire donné

Il y a là plusieurs dimensions pouvant affecter les parcours scolaires. Tout d’abord, les établissements scolaires peuvent développer des actions favorisant ou contrariant les ruptures scolaires. Il s’agit des effets-établissements, dont les analyses montrent qu’ils sont significatifs (Borman & Dowling, 2010 ; Khouaja et Moullet, 2016). Ensuite, les inégalités d’offre de formation peuvent se manifester par la plus ou moins grande diversité d’offre proposée aux élèves, que ce soit en matière de spécialités, de voies ou de niveaux de formation. Peu de travaux ont abordé la relation entre diversité de l’offre territoriale de formation et décrochage scolaire, alors même qu’il semble que cela en soit un des facteurs de différenciation (Grelet, 2006).

L'environnement scolaire

Plus un établissement comporte d’élèves défavorisés, plus le risque de décrocher augmente, indépendamment des caractéristiques individuelles (Bryk et Thum, 1989 ; McNeal, 1997 ; Rumberger, 1995 ; Saatcioglu, 2010).

Dans les établissements aux publics défavorisés, des conditions de travail difficiles pour les personnels peuvent se traduire par un climat scolaire moins sécurisant, générer des pratiques pédagogiques en décalage par rapport aux besoins des élèves et dégrader les relations entre enseignants et élèves, ce qui augmente le risque de décrochage scolaire (Lee et Burkam, 2003 ; Rumberger et Palardy, 2005).

Trois études font référence dans la littérature américaine quant à l’effet-établissement sur le décrochage scolaire : Bryk et Thum (1989), Rumberger (1995) et McNeal (1997). Les résultats peu convergents de ces études, indiquent toutefois des effets modestes de l’environnement scolaire (Janosz, 2000). Les effets semblent plus importants pour les établissements accueillant les élèves de milieux populaires ou provenant de minorités.

La recherche tend à montrer que le développement social et émotionnel pourrait être une solution pour améliorer le climat de la classe et la qualité de vie des élèves (Durlak, Weissberg, Dymnicki, Taylor et Schellinger, 2011).

L'organisation scolaire

Selon Verdier (2000), un système éducatif qui privilégie la compétition des élèves dans une visée d’excellence tend à ne pas se préoccuper du décrochage scolaire. On observe également à partir des données sur les pays de l’Union européenne, que les systèmes éducatifs qui donnent une grande place au redoublement et qui ont des filières de formation professionnelle peu développées ont un taux de décrochage scolaire plus élevé, après contrôle du contexte économique (niveau de richesse, marché du travail) (De Witte et al., 2013).

Enfin, l’orientation contrainte semble être un facteur de décrochage scolaire. À partir d’un échantillon de près de 3 000 jeunes repérés en décrochage par le SIEI, Bernard et Michaut (à paraître) montrent que 30 % d’entre eux n’ont pas pu obtenir la formation qu’ils souhaitaient suivre.

Le processus du décrochage scolaire

Aujourd’hui, il y a un consensus scientifique pour appréhender le décrochage scolaire comme un processus qui peut être décrit en trois étapes avant la situation de décrochage scolaire : des difficultés scolaires précoces, des problèmes de comportement et l’absentéisme (Bernard, 2015).

Des difficultés scolaires précoces : le premier temps du décrochage scolaire

Concernant les difficultés scolaires précoces, on distingue deux aspects importants : premièrement, l’existence d’une distance entre l’école et une partie des élèves ; deuxièmement, la création de situations d’échec à partir d’interactions qui se fondent sur la stigmatisation et/ou des « malentendus ».

Les fortes inégalités de risque de décrochage scolaire en fonction du niveau de diplôme des parents laissent à penser que les dimensions culturelles attachées à l’environnement social sont déterminantes. La détention du diplôme par les parents est associée à un modèle éducatif plaçant la scolarisation au centre des préoccupations parentales (Kellerhals et Montandon, 1991 ; Van Zanten, 2009 ; Le Pape, 2009). La distance des milieux populaires avec l’école les éloignerait de ce modèle éducatif, non par opposition à ce modèle, mais en le réduisant essentiellement à un système normatif (Lahire, 1993) : appliquer des consignes, obéir aux professeurs, bien se tenir, etc.

Alors que pour un bon nombre d’élèves la scolarité est vécue comme un parcours destiné à accéder à un diplôme et à un métier, l’école attend des élèves qu’ils attribuent au savoir un sens en lui-même. De ce fait, il existe un malentendu sur l’activité scolaire, réduite par les élèves à une série de consignes et de règles de comportement, à un « métier d’élève », bien loin d’une activité cognitive permettant le développement personnel (Bonnéry, 2007).

Les premières difficultés installent rapidement les élèves dans un statut, celui d’élèves « en difficulté », avec ce que cela comporte toujours des traitements différenciés de la part des enseignants, que ce soit dans les termes positifs du soutien et des exercices spécifiques (Lahire, 1993), ou dans la désignation par le stigmate de la difficulté scolaire. Cette assimilation des élèves à leurs résultats scolaires ne s’opère d’ailleurs pas seulement dans l’interaction maître-élève. Les regards des parents, des pairs peuvent aboutir à une véritable dévalorisation de soi (Millet et Thin, 2005) et au découragement appris (Florin, 2011 ; Bandura, 2007). Dans tous les cas, un processus de catégorisation s’enclenche, qui prépare les élèves à des orientations alternatives aux carrières scolaires attendues.

La déception occasionnée par la faible reconnaissance par l’école de la simple application des consignes peut se traduire par un sentiment d’injustice, notamment au moment du passage au collège, quand l’évaluation scolaire porte davantage sur l’appropriation de savoirs et moins sur les efforts fournis en termes d’application des consignes (Bonnéry, 2007). Ce sentiment d’injustice prépare la seconde étape.

Des difficultés de comportement : le rejet de l’école

Pour les élèves qui n’ont connu que les appréciations négatives de l’école, celles-ci ne représentent plus alors que l’ennui en classe et la disqualification dans le regard des enseignants. La dévalorisation de soi qui en résulte est difficilement supportable : soit l’élève reconnait la légitimité du verdict scolaire, et il ne peut vivre alors sa situation que sur le mode de l’infériorité, soit l’élève résiste à ce verdict, et, ce faisant, il s’oppose à l’ordre scolaire (Bonnéry, 2007).

Cette opposition aux enseignants se manifeste par le refus du travail scolaire, les diverses formes du chahut, et l’identification au rôle du « perturbateur ». Rapidement, la situation aboutit à un rejet réciproque entre élèves et enseignants. Pour les établissements scolarisant en majorité des élèves qui présentent des difficultés, elle se traduit également par une gestion de classe centrée sur la question de la discipline et du maintien de l’ordre, au détriment de l’activité d’apprentissage, ce qui renforce encore les inégalités scolaires (Becker, 1997[1952] ; Peltier-Barbier et al., 2005).

Néanmoins, certains élèves, qui se conforment aux règles scolaires ou qui obtiennent des résultats très faibles sans manifester une opposition à l’école, peuvent également être amenés à décrocher.

L’absentéisme : s’échapper de l’école

L’absentéisme peut parfois se manifester à l’intérieur même des établissements, sous forme de retards ou de cours « séchés » (Blaya et Hayden, 2003) ; il se traduit également par la sortie de l’établissement. La combinaison de l’ennui en classe, de la dévalorisation scolaire et de la valorisation du groupe de pairs peut mener à manquer les cours, à s’échapper d’un univers perçu uniquement sur le mode de la contrainte. L’expérience de l’absentéisme renforce le rejet réciproque entre l’établissement scolaire et l’élève. Elle indique à celui-ci la possibilité d’une autre vie en dehors de l’école, chez soi, ou dans la rue, ou encore au travail.

Les différents profils du décrochage scolaire

Le travail mené par Janosz adopte un modèle théorique reliant le décrochage à trois types de facteurs : participation (implication) scolaire, résultats scolaires, engagement (adhésion, identification) scolaire (Janosz et al., 2000).

À partir d’une classification sur des indicateurs de ces trois grandes variables, Janosz met en évidence quatre catégories :

Les décrocheurs discrets et les décrocheurs inadaptés représentent 80 % de l’échantillon.

Un travail réalisé en France à partir d’un échantillon de jeunes repérés en situation de décrochage scolaire met en évidence des profils similaires (Bernard, 2011), et, de la même manière que Janosz et al., l’importance des parcours de « décrocheurs discrets », peu visibles et peu repérés par l’institution.