Enjeux de la mise en œuvre des politiques éducatives
Plénière 1

Christian Maroy, co-président de la conférence (CCI), professeur émérite de sociologie, université de Montréal (Canada) et UCLouvain (Belgique)

À retenir

Christian Maroy s’interroge sur les conditions nécessaires à la mise en œuvre des réformes éducatives et à leur stabilité. Il se demande comment le changement porté ou imposé par les politiques peut devenir effectif et pérenne.

1) Les réformes scolaires sont complexes à engager. Dans nos sociétés, les institutions sont plurielles et interdépendantes : les politiques et réformes éducatives font ainsi l’objet de conflits, qui n’affectent pas seulement le champ scolaire. Par ailleurs, un certain nombre des difficultés rencontrées sont également liées aux caractéristiques institutionnelles et organisationnelles des réformes scolaires elles-mêmes : elles combinent à la fois des règles bureaucratiques standardisées et une autonomie professionnelle très forte nécessaire pour que l’enseignant puisse répondre aux besoins et spécificités des élèves, engendrant de fait une tendance au découplage*.

2) La première voie pour garantir la pérennité des réformes sur le terrain repose sur un processus de légitimation des réformes : la concrétisation d’une réforme suppose que les acteurs de terrain soient disposés à la mettre en œuvre et qu’ils décident de le faire au quotidien. Une triple légitimité est nécessaire : morale ; cognitive ; pragmatique. Les enseignants peuvent approuver une réforme d’un point de vue cognitif ou moral, mais un déploiement dans les classes sera peu probable si les changements paraissent impraticables au vue des contraintes matérielles et des ressources. Cette légitimité pragmatique est donc indispensable, et la favoriser suppose que les professionnels concernés soient associés dès la conception des réformes.

3) La seconde voie permettant de rendre effectives les réformes repose sur la mise en place d’outils pour réguler les pratiques pédagogiques au niveau local : compte tenu des tensions multiples qui traversent les sociétés, il est difficile de viser une légitimation complète des réformes. Les réformes doivent, d’une part, être ancrées dans des routines institutionnelles locales, et pour se faire, la mise en œuvre du changement doit être « distribuée » et non reposer sur la seule direction des établissements scolaires. D’autre part, l’utilisation d’outils numériques et statistiques de suivi des pratiques est nécessaire pour définir et caractériser les réalités scolaires, et ainsi définir, puis évaluer des « plans d’amélioration » pédagogique ou organisationnelle des écoles.

*Le découplage est défini par Draelants, Meyer et Rowan comme « une distance significative entre la présentation formelle de l’établissement et de son projet […] et le cœur de l’activité professionnelle, le travail au sein des classes […]. »


Acteurs de la mise en oeuvre des politiques éducatives

Barbara Fouquet-Chauprade, co-présidente de la conférence (CCI), maître d’enseignement et de recherche en sociologie des politiques scolaires, université de Genève (Suisse)

À retenir

Barbara Fouquet-Chauprade s’intéresse au rôle et à la multiplication des acteurs impliqués dans la mise en œuvre et se questionne sur des pistes susceptibles de résoudre cette complexification.

1) Les nouvelles politiques éducatives se caractérisent par une multiplication des acteurs impliqués dans la mise en œuvre, par une transformation de leurs rôles (moindre autonomie des enseignants ou poids croissant de la recherche) et de leurs fonctions (les directions d’établissement par exemple), ainsi que par l’apparition et le renforcement de nouveaux acteurs (opérateurs privés et supranationaux). Ces changements complexifient la mise en œuvre.

2) La multiplication et la diversification des acteurs impliqués dans la mise en œuvre, aux cultures professionnelles, fonctions et intérêts différents, met en péril la co-construction des réformes. Or, cette co-construction est une condition essentielle à la prise en compte de chacun de ces acteurs et donc, à la légitimation d’une réforme. La création de cultures de professionnalisme collaboratif pourrait être une solution : cela nécessite pour les acteurs de première ligne de passer d’une autonomie individuelle, à une autonomie collective et collaborative. Dans ce modèle, les enseignants gardent leur jugement professionnel, leur autonomie, mais ils ont une responsabilité collective.

3) Donner plus de place aux acteurs de première ligne, nécessite de développer des acteurs intermédiaires, qui auront pour rôle de poser un cadre structurant à la mise en œuvre (coordination et contrôle). On peut parler d’un modèle de « gouvernance par le milieu », qui favorise la culture de professionnalisme collaboratif (les enseignants et acteurs intermédiaires travaillent ensemble à des objectifs communs pour répondre à des besoins locaux). Les élèves et leur famille sont peu impliqués dans ce pilotage, car ils sont souvent pensés comme des destinataires d’une réforme, mais peu comme des acteurs. Le risque est également une trop grande autonomie accordée aux acteurs de terrain, qui empêcherait la mise en œuvre, par exemple, de réformes plus systémiques.

Ces changements d’identité professionnelle doivent être accompagnés par des formations initiale et continue, qui permettent aux acteurs de la mise en œuvre de mieux appréhender leurs nouvelles fonctions et attributions et à mieux se coordonner.


Contextualisation et mise en oeuvre des politiques éducatives

Claude Lessard, co-président de la conférence (CCI), professeur émérite d’administration et des fondements de l’éducation, université de Montréal (Canada)

À retenir

Claude Lessard se demande dans quelle mesure et de quelle manière le ou les contextes de la mise en œuvre peuvent affecter le déroulé d’une politique éducative. S’appuyant sur les travaux de Stephen Ball, il en distingue trois :

1) Le contexte de l’influence : ce qui est pertinent pour la mise en œuvre d’une politique éducative à l’échelle d’une classe ou d’un établissement, ne l’est pas nécessairement à l’échelle nationale ou internationale. Pour illustrer son propos, Claude Lessard prend l’exemple d’une politique d’inclusion des élèves roms en Hongrie, initiée par une injonction de l’Union européenne. Entre 2002 et 2010, la Hongrie a posé un cadre d’action publique (public cible, soutien financier, développement professionnel pour les acteurs, rôle des municipalités). Mais un changement de gouvernement a modifié la trajectoire de la politique éducative, ce qui a exacerbé les divisions dans la société civile et en a contrarié la mise en œuvre.

2) Le contexte de la fabrique de la politique : Xavier Pons définit trois régimes de fabrique des politiques éducatives, qui influent sur la mise en œuvre :

· Le régime de la communauté des politiques éducatives : les acteurs internes ont énormément de poids dans la fabrique des politiques. Ce régime est caractérisé par des outils de planification des réformes ; des approches traditionnellement top-down (descendantes) ; de longues périodes d’inertie, puis des ruptures ou des tentatives de réformes rapides.

· Le régime de la décommunautarisation : le nombre d’acteurs qui participent à la fabrique des politiques éducatives (parents, entreprises, acteurs locaux ou internationaux, etc.) est élargi, dans une logique inspirée du monde de l’entreprise, avec une importance accordée aux acteurs intermédiaires et internationaux.

· Le régime de la fast-politique : dans un marché transnational d’idées et de solutions éducatives, où les acteurs internationaux prennent davantage de place, ce régime se caractérise par une volonté de faire évoluer les pratiques des enseignants via une logique de formation continue en référence à des modèles d’enseignement souhaité.

3) Les contextes de la pratique : que ce soit la pratique de l’enseignant dans sa classe, celle du chef d’établissement ou celle de l’inspecteur, la mise en œuvre suppose un travail d’interprétation, de mise en récit du sens de la réforme. Ce travail de traduction, difficile mais essentiel, et qui intervient à différents moments de la vie de la politique éducative, incombe aux acteurs intermédiaires et locaux.


PANORAMA INTERNATIONAL
Pourquoi et comment des pays s’emparent-ils de la question de la mise en oeuvre des politiques éducatives ?

Beatriz Pont, OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques)

À retenir

Beatriz Pont s’interroge sur la raison pour laquelle les pays abordent la question de la mise en œuvre des politiques éducatives et la manière dont ils le font. Une problématique au cœur du questionnement de la direction de l’éducation et des compétences de l’OCDE, au sein de laquelle elle est analyste :

1) Il y a un manque de connaissances sur la mise en œuvre des politiques éducatives : il n’existe pas encore de base factuelle solide sur la manière de traduire ces politiques en pratiques réelles. La conception des politiques éducatives présente en général des faiblesses. Dans de nombreux pays, il peut manquer une description concrète de la ligne à suivre, des objectifs, des actions ou des indicateurs permettant de mesurer la progression d’une politique éducative. Professionnaliser le processus de mise en œuvre de manière beaucoup plus transparente et mesurée aiderait l’ensemble des acteurs à participer au changement.

2) Les pays ont avantage à se doter d’une vision d’ensemble et à ce que les politiques soient en harmonie avec cette vision. Les approches de gouvernances réunissent de nombreuses parties prenantes, induisent des politiques éducatives diverses et véhiculent souvent une rapidité du changement. Elles nécessitent une solide organisation et des perspectives claires. Or, on observe d’une part un manque de stratégies de mise en œuvre et d’autre part une absence de définition des rôles et des responsabilités des parties prenantes dans ces approches de gouvernances.

Il faut garder à l’esprit que chaque réforme dépend beaucoup du contexte environnant (institutionnel, politique et sociétal) dans chaque pays : stabilité politique, harmonisation de l’ensemble des politiques, présence d’une culture ou non de la mise en œuvre, implication des parties prenantes, degré d’autonomie des établissements scolaires…