Apprentissage de l’écrit


Bilan scientifique sur l'apprentissage de l'écrit

Pour produire des écrits, les élèves sont confrontés à un ensemble large de difficultés directement liées à la langue. Il faut alors qu’ils soient en capacité de produire le geste d’écriture, de se remémorer facilement l’orthographe de certains mots, de mémoriser et d’automatiser l’emploi de règles, afin de ne pas leur consacrer toute leur attention au moment de rédiger.

Un des objectifs du rapport scientifique (Étude de la langue et production d’écrits, Cnesco, 2018), rédigé par Michel Fayol et Catherine Brissaud, est ainsi d’analyser les obstacles que la langue peut représenter pour les élèves au moment d’écrire, afin que les enseignants puissent mieux les appréhender. Cette partie s’appuie sur ce rapport, sur l’état des lieux (État des lieux, Cnesco, 2018) et fait également appel aux notes de Denis Alamargot, Jacques Crinon, Bernard Lété, Monique Sénéchal (note 1 et note 2) et Jean-Luc Velay (Notes des experts, Cnesco, 2018).

La difficulté spécifique de l’écrit

La production écrite est une activité complexe. Elle demande à un individu d’être en capacité de mettre en œuvre, simultanément, plusieurs composantes et connaissances. Ainsi, tant que le geste d’écriture n’est pas automatisé, il est plus difficile de se concentrer sur les autres aspects : par exemple, un adulte droitier qui fait une dictée de la main gauche risque de commettre plus d’erreurs. Pour des raisons similaires, quand un élève doit rédiger un texte complexe, il aura tendance à porter moins d’attention à l’orthographe. Pour faire face à cette complexité de l’écriture, l’enseignement doit développer une progressivité des apprentissages. Toutes les composantes sont importantes, il ne s’agit pas de maîtriser totalement l’une d’entre elles avant de passer à la suivante, mais plutôt de les travailler simultanément.

Le geste d'écriture

Pour être capable de produire des textes par écrit, les enfants doivent apprendre à contrôler leur geste d’écriture, c’est-à-dire des mouvements fins de la main et du poignet qui permettent de guider le stylo sur la feuille. Ainsi, dans sa première phase d’apprentissage, l’écriture relève davantage de l’étude du mouvement que de celle du langage.

Cet apprentissage est d’autant plus important que les recherches montrent que les élèves qui ne maîtrisent pas la graphomotricité produisent des textes de moins bonne qualité ou rencontrent des difficultés en orthographe. Au primaire, plusieurs études ont montré que la vitesse d’écriture impacte, plus que la seule qualité du tracé, la capacité des élèves à produire des textes. De plus, les enfants qui rencontrent des difficultés à écrire les lettres sont aussi ceux qui les reconnaissent le moins bien à la lecture.

L’apprentissage du geste ne s’arrête pas aux premières années. Des études ont, en effet, montré qu’un niveau suffisant d’automatisation du geste graphique n’est atteint que vers l’âge de dix ans, et que les performances graphomotrices continuent de se développer encore à l’adolescence.

L’écriture du français

Le français, tout comme l’anglais, est qualifié d’« opaque » par les chercheurs, ce qui rend l’apprentissage de l’écrit plus complexe. Par contraste, l’italien et le finnois se rapprochent d’un système orthographique « idéal », où à chaque lettre correspond un seul son (phonème).

En français, la situation est différente : il existe plusieurs prononciations pour une même lettre (les trois « e » de « emmener » se prononcent différemment) mais, surtout, un même son (phonème) peut se transcrire par une grande diversité de lettres ou de combinaisons de lettres (le son /k/ dans le mot « calque » s’écrit de deux manières). Ainsi, l’écriture du français présente de plus nombreuses difficultés techniques que sa lecture.

Des difficultés d’apprentissage dues aux spécificités du français

La complexité de l’orthographe française contraint à un enseignement explicite de la langue. La seule lecture et écoute de la langue ne suffit pas pour apprendre à écrire, car la langue française présente de nombreuses difficultés à l’écrit.

La difficulté du passage de l’oral à l’écrit

Quand les lettres sont muettes

À l’écrit, de nombreux mots comportent des lettres que l’on n’entend pas à l’oral (bavard, petit, drap…). Les marques du pluriel et du genre ne sont pas toujours prononcées. L’absence de ces marques à l’oral fait que les élèves ne les découvrent qu’à l’écrit. L’apprentissage doit donc permettre aux élèves d’acquérir les caractéristiques propres à l’écrit.

Quand le pluriel et le genre n’apparaissent pas à l’oral

Les élèves français ne découvrent l’existence des marques de pluriel et de genre que lors de l’apprentissage de l’écrit alors que, dans la plupart des autres langues, ils disposent déjà de formes orales du pluriel ou du genre. De plus, comme dans la phrase « les jolis petits chats miaulent », seul le déterminant pluriel « les » permet à l’oral de détecter le pluriel ; à l’écrit, chaque mot porte une marque spécifique.

Quand les terminaisons se prononcent presque pareil

Les terminaisons de l’imparfait, du participe passé et de l’infinitif s’écrivent différemment mais se prononcent aujourd’hui à peu près de la même manière.

Quand un même mot peut être un nom ou un verbe

Certains mots peuvent être, selon les contextes, un nom, un adjectif ou un verbe. Ils se prononcent de la même manière mais s’écrivent différemment. Le mot « asperge », plus fréquemment rencontré comme nom que comme verbe, se trouve ainsi plus facilement associé à un « s » qu’à « nt ». Il s’ensuit des erreurs d’accord encore présentes chez les adultes.

Des règles… et des exceptions à la règle

La langue française comportant de nombreuses irrégularités, son apprentissage peut se réaliser à plusieurs niveaux.

Suivant le degré de régularité et la fréquence de rencontre des formes orthographiques, elles peuvent être, soit mémorisées au cours de la lecture (plus ou moins rapidement), soit enseignées de façon explicite et systématique.

Quand il y a un « e » au masculin

Le « e » est la marque du féminin. Pourtant, 37 % des noms terminés par un « e » sont masculins. A l’inverse, un grand nombre de noms féminins ne se terminent pas par un « e » (comme « mobilité »…). Ici, l’apprentissage par une règle générale ne semble pas pertinent.

Quand il y a un « s » au singulier

Seuls 2,6 % des mots se terminent par un « s » au singulier (comme souris, radis, tapis). La probabilité de commettre une erreur en interprétant un « s » comme un pluriel est donc minime. Ici, les élèves peuvent donc apprendre une « quasi-règle » assortie de la mémorisation des quelques mots qui ne la suivent pas.

Nouvelle orthographe : une histoire ancienne

L’orthographe française est réputée pour sa complexité, les linguistes en faisant l’une des plus difficiles au monde avec celle du japonais (Jaffré, État des lieux, Cnesco, 2018). En 1550, déjà, de nombreuses querelles apparaissent entre les partisans d’une orthographe pour l’œil (que l’écrit soit beau) et ceux d’une orthographe pour l’oreille (que l’écrit corresponde à ce que l’on entend). Plus tardivement, Voltaire s’engage dans le débat et écrit : « L’écriture est la peinture de la voix : plus elle est ressemblante, meilleure elle est ».

Ces débats permettront d’intégrer la cédille, l’apostrophe et les accents. Au fil des siècles, l’orthographe s’est réformée très lentement. L’apparition de la « nouvelle orthographe », votée en 1990 et reprise dans les programmes scolaires de 2015, en est la dernière évolution.

Lecture et écriture : des apprentissages qui se nourrissent mutuellement

Les recherches ont montré que la lecture et l’écriture des mots sont étroitement liées, surtout en tout début d’apprentissage. Cette relation entre lecture et écriture fonctionne dans les deux sens : l’apprentissage de l’écriture nourrit celui de la lecture et réciproquement.

Plus précisément, les performances en début d’écriture prédisent les performances ultérieures en lecture. Puis, dans un second temps, une relation réciproque s’installe, où chaque activité vient enrichir l’autre.

Cependant, cette relation est avant tout marquée sur les apprentissages « techniques » de la lecture et de l’écriture. Ainsi, il existe un lien fort entre l’apprentissage de la lecture de mots et l’orthographe, le lien étant plus faible, par exemple, entre la compréhension et la production de textes.

De l’écriture vers la lecture

Des recherches ont montré, du CP au CM2, que plus les élèves rédigent, mieux ils lisent. Il apparaît également que les interventions faisant précocement intervenir l’écriture améliorent la production orthographique des mots, mais aussi la lecture de ceux-ci.

De plus, la compréhension en lecture se voit améliorée lorsque les élèves écrivent à propos de ce qu’ils lisent : rédaction étendue, résumé, prise de notes, élaboration de questions ou réponses.

De la lecture vers l’écriture

Selon les recherches, le déchiffrage des mots permettrait leur mémorisation et celle de leur orthographe, afin qu’ils puissent être utilisés au moment d’écrire. Pour autant, une lecture attentive ne suffit pas pour un certain nombre de mots qui nécessitent un enseignement explicite.

L’importance de l’exposition des élèves à des phrases complexes

L’apprentissage des phrases complexes ne dépend pas seulement de leur difficulté mais aussi de l’expérience que les élèves en ont. Plusieurs recherches ont rapporté des liens significatifs entre la proportion de phrases syntaxiquement complexes produites par les élèves à l’oral et celles qui sont présentes dans les textes ou dans le discours des enseignants de maternelle (par exemple, l’utilisation de la voie passive).

Passer des savoirs aux savoir-faire

L’étude des apprentissages conduit à différencier :

  • les savoirs : par exemple, savoir que le pluriel des noms exige la présence d’un « s » final (dans la majorité des cas) ;
  • les savoir-faire : par exemple, accorder effectivement les noms en ajoutant un « s » au pluriel en contexte.

En début d’apprentissage, les novices commettent des erreurs d’omission, même lorsqu’ils connaissent les marques. Ces erreurs ne disparaissent qu’avec l’automatisation par la pratique.

Cependant, si l’attention de l’élève est divertie, des omissions se produisent de nouveau. Avec les élèves les plus jeunes, la difficulté du geste d’écriture peut suffire à capter l’attention et à induire une chute des performances au niveau des accords.

Plus tard, lorsqu’il s’agit d’écrire une phrase sous dictée ou de rédiger, l’attention est partagée entre des composantes concurrentes : copier une phrase, élaborer des idées, accorder les noms, adjectifs et verbes… L’attention et la mémoire temporaire se trouvent captées par la gestion de toutes les composantes, laissant peu de place pour la prise en compte de la seule orthographe.