Ressources humaines


Des ressources humaines de l’Éducation nationale inégalement réparties en Île-de-France

Face aux inégalités territoriales (hors éducation) très marquées, le Cnesco a mené l’enquête sur l’allocation des ressources humaines enseignantes selon les territoires en Ile-de-France. Compense-t-elle les difficultés sociales des territoires ? Si la politique d’éducation prioritaire s’incarne bien dans une taille de classe réduite qui favorise les territoires en difficulté sociale, les profils des enseignants les plus aguerris et les équipes enseignantes les plus stables ne se retrouvent pas dans ces territoires difficiles. L’enquête fait au contraire apparaitre sur ces dimensions qualitatives des RH des inégalités territoriales importantes qui se cumulent dans les territoires les plus en difficulté sociale.  

Ainsi, la part des enseignants de moins de 30 ans et de non-titulaires est trois fois plus importante dans les établissements situés dans des quartiers défavorisés que dans les zones les plus favorisées. En outre, les territoires appartenant aux deux catégories les plus défavorisées ont en moyenne un taux de stabilité des enseignants deux fois plus faible que les établissements localisés sur des zones plus favorisées.

Des enseignants jeunes et non titulaires qui se concentrent sur les zones les plus défavorisées

  • La part des enseignants de moins de 30 ans varie grandement selon les territoires.

La part des enseignants de moins de 30 ans est multipliée en moyenne par trois entre les territoires parisiens et de banlieue favorisés et les territoires cumulant le plus de difficultés socio-économiques. Au sein des départements, on note également des disparités. Paris se distingue particulièrement des autres départements par la faible présence de jeunes enseignants, et inversement la Seine-Saint-Denis et la Seine-et-Marne détiennent le record avec un enseignant sur trois de moins de 30 ans dans les territoires cumulant le plus de difficultés socio-économiques.

Part des enseignants de moins de 30 ans par type de territoires (2015)

  • La part d’enseignants non titulaires est extrêmement variable selon les différents types de territoires sociaux mais aussi selon les départements.

L’analyse fine croisée par type de quartiers et par département permet de révéler des disparités territoriales en termes d’emplois contractuels qui varient du simple au triple. La part des contractuels varie de 5 % dans les territoires parisiens et de banlieue favorisés à 13 % dans les territoires cumulant le plus de difficultés socio-économiques.

Part d’Equivalents Temps Plein (ETP) des enseignants non titulaires
par type de territoires (2017)

Les départements de Paris et de la Seine-et-Marne sont caractérisés par une relative invariance de la part d’enseignants contractuels en fonction des territoires sociaux. En revanche, les départements des Yvelines, de l’Essonne et du Val-d’Oise sont marqués par de fortes disparités en fonction du caractère social du territoire. Alors que la moyenne par collège au sein des territoires cumulant le plus de difficultés socio-économiques est de 13 % d’enseignants non titulaires, elle atteint 17,7 % dans le Val-d’Oise, soit près d’un enseignant sur cinq, 15,8 % dans les Yvelines et 15,3 % dans la Seine-Saint-Denis. De façon générale, on observe que plus les territoires sont défavorisés, plus les disparités entre les départements sont importantes.

On note le cas spécifique de la Seine-Saint-Denis qui présente le niveau le plus élevé de contractuels en Île-de-France dans presque chacune des catégories de territoire (même les territoires les plus favorisés (banlieues résidentielles favorisées).

Des collèges situés sur des territoires défavorisés qui peinent à garder leurs enseignants

Les collèges situés sur un territoire plus défavorisé ont un taux de stabilité, c’est-à-dire un taux d’enseignants qui restent au-delà de huit ans dans le même établissement (territoires défavorisés 21,8 % et territoires cumulant le plus de difficultés socio-économiques 16,8 %), quasiment deux fois plus faible en moyenne que sur les territoires les plus favorisés (territoires parisiens et de banlieue très favorisés 28 %, banlieues résidentielles favorisées 30,1 %). Les territoires peu densément peuplés de la grande couronne sont caractérisés quant à eux par le taux de stabilité le plus élevé (34,4 %).

Part des enseignants affectés dans le même établissement
depuis au moins 8 ans par type de territoires (2015)

On remarque cependant que les enseignants des collèges situés dans les territoires défavorisés de la Seine-et-Marne sont plus nombreux à rester longtemps dans leur poste que ceux des autres départements (27,1 %, contre 21,8 % en moyenne).

La stabilité des enseignants est beaucoup plus discriminée sur la base des territoires sociaux que des départements, même s’il existe toujours des différences entre les départements pour des territoires sociaux similaires.

Ce que dit la recherche

Ronfeldt, Loeb et Wyckoff (2013) ont établi un lien entre un turn over élevé des équipes pédagogiques et des résultats scolaires plus faibles des élèves, surtout dans les écoles plus défavorisées, qui comptent une grande partie d’élèves de faible niveau scolaire et/ou d’origine étrangère. Pour expliquer ce résultat, les auteurs avancent la piste des conséquences perturbatrices du turn-over pour les enseignants qui restent en poste dans l’établissement. Ceux-ci doivent en effet prendre en charge l’accueil, l’information et l’encadrement des enseignants nouvellement arrivés, supporter des tâches pédagogiques plus lourdes, réduisant ainsi leurs propres opportunités de développement professionnel. En France, sur le terrain, le rapport Moisan-Simon (1997) pointait déjà le fait que l’instabilité des enseignants dans les zones d’éducation prioritaire peut à la fois être la source et/ou la conséquence du mauvais fonctionnement d’un établissement. Cette caractéristique est très importante puisqu’un trop fort turnover des enseignants empêche de mener à bien des projets de long terme.

Un cumul des difficultés dans les territoires les plus défavorisés

L’approche territoriale met en évidence des disparités dans la distribution des jeunes enseignants (moins de 30 ans) et le taux de stabilité des enseignants (ayant plus de 8 ans d’expérience). On peut s’interroger sur le fait que certains territoires peuvent cumuler les difficultés en termes de turn-over enseignant important et personnel enseignant peu expérimenté. La figure ci-après permet de croiser ces deux dimensions et de mettre en évidence leur cumul dans certains territoires.

Répartition des territoires, selon leur département,
en fonction de l’âge des enseignants (2015) et de leur stabilité (2017)

  • Des territoires qui cumulent les difficultés (en bas à droite de la figure) : les territoires défavorisés et les territoires cumulant le plus de difficultés socio-économiques sont ceux qui accueillent le plus de jeunes enseignants (respectivement 27,7 % et 30,1 % pour une moyenne de 22,2 %) et qui, en même temps, ont le plus faible taux de stabilité des équipes enseignantes (respectivement 21,8 % des enseignants restent dans l’établissement et 16,8 % pour une moyenne de 26,1 %). On trouve dans cette partie du graphique les territoires regroupant le plus de difficultés socio-économiques de tous les départements d’Île-de-France, à l’exception de Paris.

  • Des territoires qui présentent le plus d’équipes stables composées d’enseignants expérimentés (en haut à gauche de la figure) : les territoires parisiens et de banlieue très favorisés, ainsi que la banlieue résidentielle favorisée, accueillent moins de jeunes enseignants (respectivement 9,6 % et 18,3 % pour une moyenne de 22,2 %) et les enseignants sont plus nombreux à y rester longtemps (respectivement 28 % et 30,1 % pour une moyenne de 26,1 %). On retrouve également ces caractéristiques pour les territoires situés dans des zones peu denses de la grande couronne.

Portraits de départements singuliers

Paris : la capitale accueille en moyenne la part la plus faible d’enseignants jeunes par établissement et les territoires défavorisés ainsi que les territoires cumulant le plus de difficultés socio-économiques de Paris ont des taux de stabilité des enseignants au sein des établissements plus faibles que la moyenne (respectivement 22,3 % et 18,4 %).

 

Seine-Saint-Denis : le département occupe dans l’Île-de-France une position singulière, marquée par des difficultés socio-spatiales extrêmes avec une emprise d’ampleur sur le territoire. À lui seul, il concentre plus d’un tiers des établissements scolaires franciliens situés sur des territoires cumulant le plus de difficultés socio-économiques. Plus globalement, dans tous les types de territoires (de favorisés à très défavorisés), le département cumule les difficultés : des jeunes enseignants, qui demeurent peu de temps dans les établissements. En effet, dans ce département, même les territoires de banlieue résidentielle favorisée n’arrivent pas à garder leurs enseignants en poste sur le long terme (24,8 %), contrairement aux territoires similaires dans les autres départements (30,1 %).

 

Seine-et-Marne : la part d’enseignants jeunes est en moyenne plus grande dans les collèges de ce département mais contribue aussi à la constitution d’équipes pédagogiques relativement stables (à l’exception des territoires cumulant le plus de difficultés socio-économiques).

La part d’enseignants agrégés : une spécificité parisienne

La part d’enseignants agrégés dans les collèges localisés à Paris est très élevée par rapport à la moyenne d’Île-de-France dans chacun des types de territoires (7,4 %), y compris les plus défavorisés. Elle est respectivement de 17,4 %, 16,2 %, 11,7 % dans les collèges parisiens situés dans les territoires très favorisés, les territoires défavorisés, et les territoires cumulant le plus de difficultés socio-économiques (contre respectivement 16,4 %, 5,8 % et 5,6 % en moyenne).

C’est l’attractivité territoriale de Paris qui semble donc expliquer cette forte présence des agrégés en collège. Au niveau global de l’Île-de-France, il n’existe pas d’écarts très importants entre la part d’enseignants agrégés présents dans des établissements hors de l’éducation prioritaire (8,3 %) et ceux appartenant à des réseaux d’éducation prioritaire (5,2 % dans les REP et 5,3 % dans les REP+).

Des tailles de classes inférieures dans les zones défavorisées

En 2017, en moyenne dans l’Île-de-France, le nombre d’élèves par classe dans un collège public est 25,6. Un établissement localisé dans un territoire cumulant le plus de difficultés socio-économiques a en moyenne 2,6 élèves en moins par classe, une conséquence directe de la politique d’éducation prioritaire.

Nombre d’élèves par classe au collège par catégorie de territoire (2017)

Des pistes d’interprétation des inégalités de ressources humaines

Outre les spécificités de Paris déjà mentionnées, quatre pistes d’interprétation sont susceptibles d’expliquer, au moins en partie, le manque d’attractivité de certains territoires :

  • l’importance des zones paupérisées dans le département : 68 collèges du Val-d’Oise sur 109 (62,4 %) sont localisées dans des territoires défavorisés ou cumulant le plus de difficultés socio-économiques alors qu’ils ne sont que 44 sur 127 (34,9 %) en Seine-et-Marne. La Seine-Saint-Denis en comporte quant à elle 103 sur 119 (86,6 %). Cette distribution renvoie en la dépassant à la part de collèges relevant de l’éducation prioritaire, et contribue à un ressenti général que peuvent avoir les enseignants vis-à-vis du département, et a fortiori des territoires les plus défavorisés ;
  • le contraste que ces zones défavorisées marquent ou non par rapport au reste du département : dans les Yvelines, ces territoires défavorisés sont moins nombreux (30 sur 116, soit 25,9 %) et surtout très circonscrits dans le département parmi des territoires de banlieues résidentielles favorisées ou peu denses de la grande couronne. Cette situation, comparée à celle de la Seine-et-Marne qui présente une composition sociale plus mixte, peut donc être défavorable à une installation résidentielle des enseignants ;
  • un effet positif des académies limitrophes attractives qui peuvent donner envie aux jeunes enseignants de s’installer à proximité, même dans un territoire peu attractif ; ainsi, l’académie d’Amiens, elle-même peu attractive pour les enseignants, pourrait nuire à l’attractivité du Val-d’Oise, contrairement par exemple à celle de Dijon, académie attractive pour les jeunes enseignants de Seine-et-Marne, qui tendent plus que dans les autres départements à s’y installer, même quand ils exercent dans des zones défavorisées ;
  • la densité et la qualité des transports publics desservant ces territoires qui peut amplifier ou réduire leur éloignement de Paris.

Ces pistes peuvent présenter un effet cumulatif.