Projets innovants autour de l'évaluation en classe

Des initiatives sont mises en place dans certaines écoles et certains établissements, afin de développer des pratiques évaluatives au service de l’apprentissage des élèves. Les actions ci-après, identifiées par le Cnesco, donnent un aperçu de plusieurs projets déjà existants.

Mickaël BERTRAND, enseignant et formateur en histoire-géographie, au lycée international Charles de Gaulle, à Dijon (académie de Dijon), a développé une application de suivi des progrès des élèves, consultable à tout moment par les élèves et leurs parents en ligne ou sur téléphone.

L’application répond à trois objectifs principaux : 1/ proposer aux élèves et à leurs parents un espace qui rassemble différents indicateurs clairs et intelligibles de suivi de leurs progrès ; 2/ proposer aux élèves et à leurs parents une interface simple qui leur permet d’interagir avec l’enseignant pour comprendre l’évaluation et envisager ensemble des solutions pour progresser sans considérer la note comme une simple sanction irrévocable ; 3/ proposer aux élèves un espace de valorisation de leurs compétences, y compris extrascolaires.

Sur l’application, les élèves ont la possibilité de solliciter leur enseignant (par exemple, via un chatbot*) pour proposer des activités susceptibles d’être valorisées, non pas par une « note », mais par un « score », qui n’a de limite que celle que les élèves veulent bien se donner. Ils peuvent également solliciter leur enseignant pour l’octroi d’un badge valorisant une compétence particulière (pas forcément en lien avec les compétences disciplinaires, mais plutôt une compétence transversale liée à l’usage d’un outil numérique, à l’oral, etc.). L’application permet également de consulter une page de synthèse des scores (historique des points obtenus au fil de l’année) et d’accéder à une fiche de suivi individualisé. Sur cette fiche, l’enseignant conserve une trace de la correction de chaque copie d’élève avec une identification de « points forts », mais aussi d’« axes de progression ». L’évaluation suivante est corrigée à partir de ces indicateurs sur lesquels l’élève doit cibler ses efforts et sa remédiation. Cette correction plus ciblée permet à l’enseignant d’accompagner les élèves étape par étape, évaluation après évaluation, vers les objectifs fixés pour l’examen.

❝ En utilisant cet outil, ma correction est ciblée sur des conseils précis qui s’inscrivent dans le parcours de progression de l’élève. Je ne recherche donc pas l’exhaustivité, mais l’efficacité afin de mettre à la fois en valeur les progrès effectués au fil des semaines, mais aussi d’accompagner les élèves dans les prochaines étapes de leur progression.❞

Ces outils et stratégies sont développés depuis trois ans et la réflexion se poursuit grâce aux retours des élèves et des parents. L’enseignant relève que certains élèves restent un peu décontenancés et n’osent pas s’investir dans une démarche proactive. Ils considèrent souvent que seule l’évaluation sommative a une valeur. D’autres, de plus en plus nombreux chaque année, utilisent cet outil en investissant certains éléments qui correspondent à leurs envies et leurs besoins. Ainsi, des élèves se lancent dans une course effrénée aux points d’investissement. À l’inverse, d’autres accumulent les badges et recherchent la valorisation de compétences, qui n’étaient pas forcément valorisées par l’école jusqu’à présent.

Mickaël BERTRAND, enseignant et formateur

* Un programme informatique paramétré pour converser avec les élèves, afin de définir de quelle manière ils souhaitent s’investir ou pour expliquer pourquoi leur investissement mérite d’être valorisé.

Le projet TACIT est porté depuis 2006 par une équipe constituée de quatre enseignants-chercheurs en psychologie de l’université Rennes 2 et de l’Inspé de Bretagne, d’une orthophoniste, d’un développeur et avec l’aide de nombreux contributeurs. TACIT signifie Testing Adaptatif des Compétences Individuelles Transversales. Il s’agit d’une interface en ligne dédiée aux enseignants permettant actuellement l’évaluation et l’entraînement adaptatif de la compréhension implicite et du vocabulaire.

L’équipe porteuse du projet part du constat que la compréhension de texte est une compétence cruciale dans toutes les disciplines, mais aussi dans la vie de tous les jours. Elle nécessite d’identifier les informations explicites données par un texte, mais aussi d’en comprendre les informations implicites. Chose qui peut être difficile pour des lecteurs en difficulté et pour laquelle les enseignants n’ont pas toujours le temps en classe de proposer un enseignement différencié. TACIT permet de répondre à cette difficulté.

❝ Les retours ont été globalement très positifs, parce que les enseignants disaient qu’il s’agissait pour eux d’un outil puissant, qui permet d’évaluer finement le niveau de compréhension de leurs élèves. C’est un outil pour gérer l’hétérogénéité des classes, pour prendre en compte tous les élèves.❞

Déployé sur ordinateur ou tablette, cet outil permet de mettre en œuvre une pédagogie différenciée, s’adaptant au niveau de chaque élève et de mesurer leur progression de manière individuelle. La mise en œuvre de TACIT débute toujours par une première évaluation. Cette évaluation va permettre de positionner chaque élève sur une échelle de difficulté de sorte que les entraînements qui suivent soient adaptés à chacun des élèves et à leurs zones de compétences respectives. L’interface propose ensuite un très grand nombre d’exercices sous forme de questions à choix multiples (presque 4 000 exercices pour l’implicite et 5 000 exercices pour le vocabulaire).

Deux modes d’entraînement sont disponibles : le mode autonomie, qui permet aux élèves de travailler à leur rythme, avec un accompagnement ponctuel de l’enseignant et le mode tutoré, qui permet de construire des séances en petits groupes favorisant les interactions et l’explicitation des stratégies mises en œuvre par les élèves. À partir de ces interactions verbales entre pairs ou avec l’enseignant, l’enseignant a la possibilité de repérer les diverses stratégies et représentations erronées, pour les faire évoluer.

L’interface propose des tableaux et des graphiques pour apprécier le positionnement et le suivi de chaque élève dans les évaluations et dans les entraînements, ainsi que l’examen des temps moyens de réponse afin de détecter les effets de fatigue ou de démotivation.

Fanny DE LA HAYE (Inspé de Nouméa), Olivier LE BOHEC, Yvonnick NOËL, Christophe QUAIREAU, Jérémie NOGUES (université Rennes 2) et Karine LAVANDIER (orthophoniste)

Le collège Gérard Philipe de Niort (académie de Poitiers) pratique de longue date une évaluation non chiffrée (suppression des notes) et formative. Cette volonté de favoriser un apprentissage bienveillant, coopératif et différencié repose sur le LUnE, le Livret Unique de l’Élève : un référentiel unique de connaissances, de capacités et de compétences. Il est unique et commun à toutes les disciplines, et tisse la construction des compétences sur les quatre années du collège.

Le LUnE est un projet qui associe et qui part d’un travail mené par toute l’équipe éducative. En partant du constat que les mêmes compétences se retrouvaient dans plusieurs disciplines, les enseignants ont élaboré des échelles descriptives qui explicitent les attentes de l’école. Ces échelles permettent à l’élève de savoir, très précisément, où il se situe dans la maîtrise des différentes compétences. Le LUnE englobe les compétences disciplinaires, transversales, méthodologiques, sociales et scolaires. Il est en lien avec le socle et est organisé autour de huit domaines : lire, écrire, dire et écouter, créer, savoir, agir et savoir-être, pratiquer, raisonner. Chaque professeur peut évaluer n’importe quelle compétence, et une même compétence est travaillée de la 6e à la 3e, avec une complexité croissante.

Le LUnE est un dispositif aussi bien à destination des enseignants, que des élèves et de leur famille. Pour les enseignants, il facilite l’innovation pédagogique, la mutualisation des pratiques d’enseignement et renforce la cohérence des apprentissages menés au collège. Il permet à l’enseignant de comprendre l’élève dans sa globalité, sa spécificité : par la mise en place d’une remédiation ciblée, disciplinaire ou transversale et un accompagnement personnalisé.

❝ Ça nous pousse toujours à donner le meilleur de soi-même parce qu’on n’a pas peur. Ce n’est pas comme les notes où on se dit : « On ne pourra pas se rattraper ! ». Là, si on a un point rouge, on se dit : « Ce n’est pas grave. C’est ici que je n’ai pas compris donc je sais que c’est ici qu’il va falloir que je m’améliore la fois d’après.» ❞ Léa, élève 

❝ Ce changement de posture éducative a eu des effets surprenants et formidables sur notre travail au quotidien : on s’est mis à échanger sur nos pratiques de classe, on partage les documents de travail et les fiches pour les élèves, on demande l’avis des collègues des autres matières pour savoir comment ils s’y prennent. Un vrai travail d’équipe ! ❞ Julie, professeur de français 

Le LUnE invite à la diversification des situations d’évaluation, par exemple, l’autoévaluation ou l’évaluation de groupe. C’est un outil simple de communication avec l’élève et sa famille, un bilan fiable pour l’orientation.

Tout le collège Gérard Philipe de Niort utilise le LUnE depuis 2014 : 550 élèves répartis sur 21 classes, 41 professeurs, 15 accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), la vie scolaire, la direction et les parents d’élèves en soutien, soit 100 % de la communauté éducative.

Cécile ZIEGLER, enseignante

Deux enseignants du lycée Nicolas Brémontier à Bordeaux, une inspectrice d’académie – inspectrice pédagogique régional (IA-IPR) de mathématiques de l’académie de Bordeaux et un enseignant-chercheur en science de l’éducation de l’université Nice Côte d’Azur, se sont engagés dans un travail de recherche collaborative autour de l’évaluation des acquis des élèves au lycée, depuis la rentrée 2021 et pour trois années scolaires.

Cette recherche a pour objectif de développer l’engagement des élèves dans les tâches proposées, de les responsabiliser dans leurs apprentissages et de faire en sorte que l’évaluation s’inscrive dans une approche formative, afin que la certification ne relève pas d’une performance ponctuelle, mais d’un processus de construction d’une compétence (en rendant compte des acquis, des progrès réalisés, de ce qui reste à acquérir).

Pour cela, ils mènent une expérimentation auprès de classes de seconde, dans lesquelles ils ont choisi d’adopter et de s’approprier le référentiel des compétences de mathématiques, qui figure dans les programmes officiels. Ce travail d’appropriation et de reformulation permet de dégager des compétences qu’ils peuvent entraîner et évaluer et qu’ils peuvent facilement expliquer aux élèves, pour que ces derniers comprennent vraiment ce qui est attendu.

Les enseignants ont également fait le choix de différer la note demandée par l’institution et d’évaluer en continu chaque compétence au cours du semestre. Autrement dit, tout au long du semestre, les élèves ne reçoivent pas de notes, d’autres indicateurs sont utilisés pour faire état de leur degré de maîtrise de différentes compétences. La note attribuée à la fin du trimestre n’est pas une moyenne, mais une note qui traduit, de façon globale, le niveau de maîtrise atteint en fin de période. Cette démarche permet de laisser à chaque élève le temps qui lui est nécessaire à la maîtrise des notions abordées, de respecter son rythme, de ne pas sanctionner de façon définitive un élève qui n’aurait pas été prêt au moment de l’évaluation.

❝ Pour les personnes qui ont du mal en maths, c’est compliqué de travailler ses maths seul ; donc quand on a des compétences on sait plus précisément ce qu’il faut travailler, et ça peut aider les personnes qui sont en grandes difficultés ou qui n’ont pas leurs parents pour leur expliquer.❞ Marilou, élève de seconde 

Dans leur démarche, les enseignants ont dû apprendre à placer l’élève au cœur de l’évaluation, avec l’objectif de la lui déléguer en partie ; à construire des grilles d’observables qualitatifs qui permettent aux élèves de se positionner plutôt que de quantifier les observables ; ou encore, à différencier l’aide apportée pour permettre une meilleure maîtrise des compétences quand c’était nécessaire.

Les élèves et leurs familles ont bien adhéré au dispositif, qui leur a été présenté en début d’année. La recherche collaborative se poursuit et pourrait être élargie prochainement à d’autres disciplines. Par ailleurs, les enseignants du lycée Brémontier intéressés par le projet ont accepté d’intégrer un L.A.A.C. (Laboratoires d’analyse de l’activité en classe) pluricatégoriel à la rentrée 2023. Enfin, des retours d’expérience auprès de l’ensemble de la communauté éducative, puis au niveau du bassin auront lieu au cours de l’année civile 2023.

Laure BIENAIMÉ et Christophe BAUZET, enseignants

Françoise CAHEN, enseignante au lycée Maximilien Perret d’Alfortville et Joanna Marques, ancienne enseignante au collège Robert Doisneau de Clichy-sous-Bois (académie de Créteil) et désormais médiatrice formation à Réseau Canopé, ont fait le choix d’utiliser les QR-codes dans la correction des copies.

Au sein de nombreuses académies, des enseignants ont fait le choix d’une évaluation au service de l’apprentissage des élèves grâce au numérique. Un outil en particulier est mentionné à plusieurs reprises : les QR-codes (quick response code). Les usages de ces QR-codes sont multiples : prolongement d’un cours, exercices différenciés, renvoi à un dossier personnel dans lequel sont enregistrées les appréciations des élèves sur l’année ou encore retour sur une évaluation. Françoise Cahen, enseignante au lycée Maximilien Perret d’Alfortville et Joanna Marques, ancienne enseignante au collège Robert Doisneau de Clichy-sous-Bois (académie de Créteil) et désormais médiatrice formation à Réseau Canopé, ont fait le choix d’utiliser les QR-codes dans la correction des copies.

Leur constat est le suivant : les enseignants passent beaucoup de temps à rédiger des appréciations et des conseils sur les copies de leurs élèves pour accompagner leur évaluation. Pourtant, les élèves ne prennent pas toujours le temps de les lire. S’ils sont déçus par leur note, ils ont souvent une réaction négative par rapport à tout ce qui l’accompagne. Les enseignants peuvent également rencontrer des difficultés à utiliser les (faibles) espaces libres de la copie pour à la fois faire des constats sur la production de l’élève au fil des mots et lui communiquer des remarques et des pistes de progression. Les enregistrements d’appréciations et de conseils à l’oral ont été conçus pour faire face à ce problème de la réception de l’évaluation et faire de la correction un moment d’échange.

Pour remplacer l’appréciation globale de la copie de français, les deux enseignantes enregistrent des messages adressés directement à chaque élève, qui reprennent les points forts et les points à améliorer des copies, en leur donnant des conseils pour progresser, et en les encourageant. L’enregistrement mis en ligne, elles impriment un QR-code (via un site générateur de QR-codes, ici QwiQR), qui est ensuite collé sur chaque copie. L’enregistrement ne se substitue pas à toute trace écrite sur la copie où peuvent figurer des remarques, des traits, des abréviations, voire des repères de couleurs différentes pour des retours sur chaque point. Cette pratique peut être mise en œuvre à plusieurs reprises dans l’année pour des devoirs importants, ou pour certains élèves de manière régulière. Lorsque les enseignantes rendent le devoir en classe, il s’agit d’une « copie parlante » que les élèves peuvent écouter avec leur téléphone. Il convient bien sûr de s’assurer que tous les élèves puissent avoir accès à l’appréciation. Celle-ci peut être rendue accessible également par l’espace numérique de travail (ENT).

❝ D’abord, on en dit beaucoup plus spontanément qu’en écrivant. Ensuite, c’est un pont vers l’élève, une façon de s’adresser à lui de manière moins péremptoire. Contrairement à la note, qui peut donner l’impression de « casser », l’appréciation orale les encourage. Depuis que je passe par les QR-codes, je reçois des remerciements chaleureux des élèves, satisfaits d’avoir un retour personnalisé sur leurs travaux.❞

Le bilan de cette expérimentation est positif selon les enseignantes. Les corrections de copies se trouvent fortement humanisées : les enseignants s’adressent aux élèves en les appelant par leurs prénoms, le ton de la voix est encourageant. Les élèves ont l’impression que les enseignants ont passé plus de temps pour eux, alors que ce n’est pas forcément le cas. L’enregistrement personnalise et valorise le geste évaluatif et les conseils qui le suivent. De plus, les jeunes font souvent écouter à leur famille cette correction.

Françoise CAHEN, enseignante, et Joanna MARQUES, médiatrice formation à Réseau Canopé