ÉVALUATION ET ÉQUITÉ

En quoi la perception de l’évaluation par les élèves peut-elle générer des inégalités ?

Sébastien Goudeau, université de Poitiers (France)

À retenir

Sébastien Goudeau présente les travaux de psychologie sociale concernant l’influence des effets de contexte de l’évaluation sur les performances des élèves.

• La performance des élèves à une évaluation dépend de la situation dans laquelle ils se trouvent. Dans une situation où les élèves perçoivent une menace, une partie de leurs ressources cognitives est consacrée à la gestion de cette menace. Lorsqu’ils sont placés en situation d’évaluation, les élèves de classes populaires peuvent ainsi craindre de confirmer un stéréotype négatif relatif à leur groupe social ou d’être jugés conformément à ce stéréotype (par exemple, ils sont souvent jugés comme moins intelligents et moins travailleurs) : c’est ce qu’on appelle la « menace du stéréotype ».

Les situations d’évaluation ont tendance à accroître les écarts liés à l’origine sociale et au genre. Il ne faut pas pour autant renoncer à toute forme d’évaluation des élèves. Il faut plutôt s’attacher à modifier la perception qu’ont les élèves de celle-ci. Lorsqu’une évaluation est présentée comme un outil de sélection (évaluation normative) les élèves de classe populaire réussissent moins bien. En revanche, cet écart disparaît lorsque l’évaluation est présentée comme un outil au service de l’amélioration des compétences (évaluation formative).

Les situations de comparaison entre élèves dans le contexte de classe (par exemple, un élève qui lève la main pour dire qu’il a terminé un exercice qu’il juge « facile ») jouent un rôle dans l’amplification des inégalités scolaires. Ces situations mettent en évidence les écarts de réussite entre élèves sans prendre en compte leur inégale familiarité vis-à-vis des attendus et savoirs scolaires.


Comment peut-on mettre l’évaluation au service de la différenciation pédagogique ? Un exemple de dispositif.

Liesje Coertjens, UCLouvain (Belgique)

À retenir

Liesje Coertjens décrit le modèle « Multi-Tiered System of Support » (MTSS)1 développé pour identifier et aider les élèves en difficulté.

• Le modèle MTSS propose une utilisation de l’évaluation formative pour différencier l’enseignement. Ce modèle comporte 3 niveaux :

– Niveau 1 : le même programme d’enseignement est appliqué à tous les élèves. Pour un grand nombre d’élèves, le niveau 1 suffira pour maîtriser le contenu. Pour d’autres, ça ne sera peut-être pas le cas. Le modèle suggère alors un soutien de niveau 2.

– Niveau 2 : un enseignement plus ciblé (exercices supplémentaires, ré-explications, etc.) pendant une courte période, plusieurs fois par semaine, en petit groupe ou individuellement. Le niveau 2 peut être suffisant pour certains élèves. S’il ne suffit pas, le modèle prévoit un niveau 3.

– Niveau 3 : un soutien individuel et intensif et une aide extérieure ou l’orientation vers une filière d’éducation spécialisée.

• Pour repérer les élèves qui ont besoin d’un soutien de niveau 2 ou 3, il y a une évaluation dite « de suivi des progrès ». Elle comprend deux parties : 1/ Le niveau de compétence de tous les élèves est mesuré plusieurs fois par an en utilisant un test, élaboré par des experts dans le but de distinguer des différences de niveau. Ces tests ont une visée formative : ils permettent de faire état des acquis des élèves, mais les résultats ne sont utilisés que pour déterminer le meilleur accompagnement possible pour chaque élève. 2/ Dès qu’un élève est identifié comme nécessitant un soutien de niveau 2, les tests sont plus réguliers et plus spécifiques.

• Les résultats de la recherche montrent que dans l’ensemble, il existe des premières preuves de l’efficacité du modèle, même si des recherches supplémentaires sont nécessaires.

1 Système de soutien à plusieurs niveaux


Peut-on évaluer différemment des enfants différents ?

Mickaël Jury, université Clermont Auvergne (France)

À retenir

Mickaël Jury se demande si on peut évaluer différemment des enfants différents :

• Le système éducatif et l’ensemble des acteurs qui œuvrent en son sein doivent s’assurer que tous les élèves, quelles que soient leurs particularités, puissent accéder au contenu des leçons dispensées, mais aussi aux évaluations. Pourtant, une tension existe sur ce dernier point : modifier les conditions dans lesquelles les évaluations se déroulent peut laisser penser que celles-ci ne permettent plus d’appréhender le niveau réel de compétence des élèves ou même qu’elles seraient injustes puisque certains seraient aidés par rapport à d’autres.

• Lorsque les enseignants proposent une évaluation adaptée à un élève à besoin éducatif particulier, ils peuvent se demander si la note que celui-ci obtient a la même valeur que celle attribuée à un camarade ayant fait l’évaluation non adaptée. La recherche monte qu’une adaptation peut être considérée comme juste :

– Lorsqu’un élève à besoin éducatif particulier qui en bénéficie réussit mieux, mais que ça ne change rien à la performance des autres élèves.

– Si on donne l’adaptation à un élève à besoin éducatif particulier et à un autre élève, les deux progressent, mais l’écart se réduit.

• La question de la justice des adaptations pourrait être dépassée si l’évaluation était pensée de façon formative. Distinguer dans l’évaluation ce qui relève de la production, des progrès, choisir une adaptation qui ne rentre pas en contradiction avec la compétence visée, co-construire les évaluations (par exemple, avec les enseignants spécialisés), sont autant de pistes pour favoriser une évaluation juste et équitable de tous les élèves dans un contexte inclusif.