Politiques scolaires


Quel bilan des politiques d'éducation à l'orientation ?

Le rapport scientifique de la conférence (Dutercq, Michaut & Troger, Cnesco, 2018) ainsi que plusieurs rapports institutionnels permettent de dresser un bilan des politiques d’accompagnement à l’orientation en France. Malgré des réussites locales, la politique nationale a été marquée par une multiplicité des réformes créant une confusion dans les objectifs visés. Cela s’est traduit, localement, par une difficulté de coordination entre les différents acteurs et par un manque de lisibilité de l’offre pour les élèves et leurs familles. Les enseignants, en première ligne sur l’orientation, sont très peu formés sur le sujet alors que les conseillers d’orientation(PsyEN), formés, sont inégalement répartis sur le territoire. Au final, le processus d’orientation présente toujours de fortes inégalités sociales se traduisant notamment par des phénomènes d’autocensure.

 

Bilan des politiques d’éducation à l’orientation menées en France

Les recherches et de nombreux rapports institutionnels (inspections de l’Éducation et des affaires sociales, 2013 ; Sénat, 2016 ; France Stratégie, 2017) pointent des lacunes multiples sur les différentes dimensions des politiques d’orientation, ceci malgré quelques exemples volontaristes de politiques d’orientation notamment, en région (Centre-Val de Loire, Île-de-France, Bretagne, Nouvelle Aquitaine…) et dans certaines académies et établissements scolaires innovants. Ces difficultés apparaissent à différentes échelles.

Au niveau national : de multiples réformes mais une politique peu ambitieuse

Malgré de multiples réformes, la politique nationale d’orientation scolaire semble confuse et peu ambitieuse dans ses objectifs et instruments :

  • une multiplicité d’acteurs en charge de l’éducation à l’orientation et une gouvernance qui se cherche entre national et local, avec des opérateurs et administrations déconcentrées peu pilotés ;

  • un manque de coordination interministérielle pour traduire les réflexions, réelles, sur l’orientation tout au long de la vie, entraînant des doublons dans l’activité ;
  • un manque de visibilité sur la réalité des ressources humaines et des financements ;
  • des instruments de politiques publiques inexistants, comme des politiques de recherche ou d’évaluation des dispositifs d’orientation ;
  • des outils nationaux peu innovants, non coordonnés entre ministères, acteurs nationaux et locaux, voire absents (pas de normes communes d’information entre les ministères de l’Éducation nationale et le ministère du Travail par exemple, absence de schéma organisationnel des missions des acteurs…)

Aux niveaux régional et local : des difficultés de coordination

Les Services publics régionaux de l’orientation (SPRO) peinent à coordonner un ensemble large d’acteurs placés sous des tutelles et financements divers (Éducation nationale, jeunesse, emploi).

De plus, les offres d’information et de conseil en orientation apparaissent très segmentées, selon les statuts des structures, leurs publics et leur implantation territoriale. Les Centres d’information et d’orientation ne bénéficient pas d’une stratégie claire, en termes de publics, de financements, de carte…

Au niveau des usagers : une offre peu lisible

Pour les usagers, le processus d’orientation fait apparaître de nombreuses difficultés :

  • faible visibilité et lisibilité de l’offre de prestations d’orientation ;

  • des points d’accueil nombreux mais disparates : 8 500 points d’accueil, avec des disparités importantes selon le type de structures et le territoire ;
  • des prestations très inégales territorialement, alors que le processus d’orientation engage des formes variées d’inégalités sociales, territoriales ou de genre ;
  • un développement fort du secteur privé du coaching et de l’édition d’information professionnelle.

Les principaux interlocuteurs de l’orientation dans l’établissement

Au-delà des points d’accueil évoqués précédemment, plusieurs acteurs, dans l’établissement, interviennent dans le processus d’orientation, en contact direct avec les élèves ou non.

Le code de l’éducation prévoit que le conseil à l’orientation fait partie des obligations de services des enseignants au même titre que l’évaluation ou la préparation des cours. De plus, l’orientation fait officiellement partie des programmes de la plupart des disciplines. Le professeur principal est considéré comme le professeur référent et l’interlocuteur privilégié des familles en matière d’orientation. Il reçoit une prime spécifique à sa fonction.

Positionnés comme interlocuteurs privilégiés, les enseignants sont pourtant très peu, voire pas du tout formés à l’éducation à l’orientation (Cour des comptes, 2012 ; Sénat, 2016). Leur information ne tient donc qu’à leur propre initiative.

Les conseillers d’orientation (PsyEN) partagent leur temps entre les établissements et un Centre d’information et d’orientation (CIO). Ils sont explicitement formés à l’éducation à l’accompagnement à l’orientation mais leur champ d’action dans l’établissement est limité : ils doivent se concentrer le plus souvent sur la prévention du décrochage ou sur les élèves handicapés ou en grande difficulté.

De plus, la répartition des conseillers d’orientation (PsyEN) est inégale sur le territoire. En France métropolitaine, les écarts peuvent varier de 4,64 conseillers d’orientation (PsyEN) pour 10 000 élèves dans l’académie de Grenoble à 8,21 dans l’académie de Limoges.

Nombre de conseillers d’orientation psychologues (PsyEN) pour 10 000 élèves
du second degré public et privé en France à la rentrée 2016, par académie

Par ailleurs, le nouveau statut des PsyEN (anciennement conseillers d’orientation psychologues) suppose que ceux-ci doivent être titulaires d’un master en psychologie. Le concours comprend une dimension psychologique dominante (Dutercq, Michaut & Troger, Cnesco, 2018). Le concours débouche désormais ensuite sur une unique année de formation (contre deux auparavant) visant à spécialiser les PsyEN qui exercent dans le secondaire en orientation et élargit le champ des connaissances et entrées disciplinaires au-delà de la psychologie. Ces conseillers bénéficient peu de formation continue leur permettant de réactualiser leurs connaissances alors qu’ils interviennent au quotidien dans des domaines économiques et sociaux en très forte mutation et des champs d’activité  professionnels sur lesquels la recherche, pour les praticiens, progresse en continue.

Les chefs d’établissement pilotent les actions d’éducation à l’orientation. Ils sont en capacité d’inviter les conseillers d’orientation (PsyEN) à participer aux conseils de classe. Ils sollicitent également des interventions de divers partenaires pour l’information des familles et des élèves.

Le dispositif de suivi de l’orientation et d’information des familles peut être élaboré avec les enseignants et le PsyEN. Selon les établissements, l’intégration d’autres acteurs est variable. Ainsi, certains  chefs d’établissement choisissent d’associer, plus ou moins fortement :

  • les professeurs documentalistes, dans l’apprentissage de la recherche puis de l’analyse de l’information ;
  • les conseillers principaux d’éducation (CPE), dans la relation avec les familles, grâce à leur bonne connaissance de la vie de l’établissement et de l’environnement familial des élèves.

 

Des inégalités sociales persistantes dans le parcours d’orientation

Construire son parcours d’orientation nécessite de faire des choix qui s’articulent autour de deux questions essentielles : qu’est-ce que je veux faire ? Qu’est-ce que je peux faire ? Les recherches mettent en avant 3 types de comportement des élèves issus de familles défavorisées.

Si les choix peuvent être guidés par la réussite scolaire, ils intègrent aussi des aspirations qui se fabriquent au cœur de la vie quotidienne, au contact des pairs et de la famille (Guyon & Huillery, 2016 ; Van Zanten, 2009).

L’implication des familles joue généralement un rôle positif dans la réussite des études (à variables socio-économiques contrôlées) ; elle transmet cependant un grand nombre de stéréotypes sur les filières et les métiers (Li & al, 2007) pouvant entraîner des phénomènes d’autocensure.

Au final, les résultats de recherches (Bressoux, Lima & Rossignol, Cnesco, 2018) montrent que les élèves :

  • sont conscients que  la réussite académique future ne dépend pas que du niveau scolaire actuel mais que l’origine sociale aura un impact, direct ou indirect ;
  • surestiment le rôle de ces inégalités, ce qui les conduit donc à sous-estimer leur réussite académique future.

Les recherches montrent également que les stéréotypes sont également présents chez les professionnels de l’orientation et peuvent ainsi renforcer l’autocensure des élèves (Boudesseul, 2010).

Pour contrer cette autocensure, certains programmes sont mis en place dans certains lycées, en collaboration le plus souvent avec des conseillers d’orientation (PsyEN), mais ils ne sont pas généralisés. Par ailleurs, ils interviennent souvent tardivement dans la scolarité. Les recherches montrent cependant que travailler sur ces représentations (de soi, des études, du travail) est plus efficace lorsque ces actions sont débutées au primaire, avant l’installation des représentations, et poursuivies jusqu’à l’âge adulte (Fosket et al., 2004 ; Smith et al., 2005 ; Bimrose et al., 2008).

L’accès à l’information présente également des inégalités sociales. En effet, les élèves défavorisés peuvent avoir une vision plus imparfaite des études (filières, débouchés, aides financières, difficulté) que les élèves dont les parents sont eux-mêmes passés par l’enseignement supérieur.

Le contexte familial et l’environnement jouent un rôle essentiel dans les stratégies des jeunes par rapport à la recherche d’information en vue de se construire un projet professionnel (Injep, 2012). Deux profils de jeunes peuvent alors être identifiés :

  • les « jeunes stratèges » combinent différentes pratiques de manière organisée : recherches sur Internet, autres ressources documentaires, contacts avec des professionnels…
  • les « jeunes dépendants » ont un parcours plus chaotique en matière de recherche d’information et ont des difficultés à rechercher, décoder ou exploiter l’information. Ils se basent notamment sur les discours de leurs proches et des médias.

L’action de l’établissement ne compense pas toujours ces inégalités. Les établissements sont fortement différenciés en matière de caractéristiques socio-économiques et scolaires de leurs élèves et par conséquent en matière de mobilisation sur le sujet de l’orientation et de capacité à fournir de l’information pertinente (Draelants, 2017). Les rencontres avec des professionnels ou des étudiants, ne sont pas proposées systématiquement par le ministère, et dépendent souvent  des réseaux familiaux (enquête Cnesco, 2018), ce qui pousse les jeunes issus de milieux défavorisés vers une reproduction sociale. L’intervention dans le champ de l’orientation d’acteurs privés et payants, qui sont mobilisés notamment par les enfants de cadres, est un nouveau facteur d’inégalités d’orientation d’origine sociale (Crédoc pour le Cnesco, 2018).

Les obstacles économiques peuvent conduire à des choix maîtrisés de la part des élèves et de leurs familles, appuyés sur des stratégies visant à réduire les coûts des études et à maximiser leurs chances de réussite (Troger, 2017).

Ainsi, l’enquête du Cnesco (Crédoc pour le Cnesco, 2018) montre que le coût des études est un obstacle fort qui conduit un tiers des jeunes à renoncer à certaines filières.