Comparaisons internationales


Quelles politiques d'éducation à l'orientation ?

Parties d’une vision adéquationniste, les politiques d’orientation des pays développés se sont construites traditionnellement comme un service individuel visant à accompagner les élèves les plus éloignés de l’école dans leurs choix de formation. Face à l’évolution très rapide des métiers, les jeunes doivent désormais être en capacité de « savoir évoluer » sur le marché du travail. Les politiques d’éducation à l’orientation, menées dans plusieurs pays, se concentrent ainsi sur l’accès à l’information, un travail réflexif sur soi-même et sur la prise de décision. L’approche de l’éducation à l’orientation implique tous les acteurs de l’établissement et peut, lorsqu’elle commence suffisamment tôt, réduire les stéréotypes de genre.

 

Historiquement, dans les pays développés, l’orientation comme parent pauvre des systèmes éducatifs

Lorsque le principe d’orientation des jeunes est apparu, il s’appuyait sur une conception adéquationniste, visant à orienter les jeunes en fonction des besoins du marché de l’emploi. Cette conception est restée très présente dans le débat public et dans les décisions politiques.

À l’exception de certains pays notamment anglo-saxons, les politiques d’orientation se présentent traditionnellement comme un service individuel visant à accompagner les élèves les plus éloignés de l’école dans le choix de leur formation professionnelle. Elles présentent alors plusieurs caractéristiques :

  • Concentration sur la fin de l’enseignement obligatoire ;
  • Concentration sur les élèves les plus en difficulté ;
  • Sans connexion forte avec les programmes scolaires ;
  • Dans une vision à court terme (aider les jeunes à choisir leur prochaine étape de formation) ;
  • Des interventions individuelles (entretiens en face-à-face, tests psychologiques).

Dans l’OCDE, des mutations qui ouvrent la porte à un changement de modèle

Les évolutions éducatives et sociétales de ces dernières années ont entraîné, dans d’autres pays, des évolutions des politiques d’orientation.

Des évolutions éducatives majeures
  • La démocratisation de l’enseignement secondaire puis supérieur

L’orientation apparait à la fois comme la solution pour ouvrir socialement l’enseignement supérieur (Angleterre : les politiques autour du développement des aspirations) et surtout comme une nécessité face à un public étudiant socialement et scolairement plus hétérogène, qu’il faut guider dans l’université (Angleterre : politique visant «la première génération » d’étudiants dont aucun parent n’a fréquenté l’université).

  • L’individualisation et la flexibilité des cursus tant au lycée qu’à l’université 

L’effacement des filières au bénéfice de formations plus modulaires, validées par crédits tant au lycée qu’à l’université dans la majorité des pays de l’OCDE conduit également à accompagner davantage les étudiants dans leur choix de formation (plan d’éducation de chaque élève/étudiant accompagné par des conseillers d’orientation en Finlande, Suède, Angleterre…).

Des évolutions économiques et sociétales centrales

Les évolutions économiques et technologiques ont rendu caduques les analyses prospectives censées prédire les besoins du marché du travail.

85 % des métiers « du futur » (2030) n’existeraient pas encore (Institute for the future, 2017). Le modèle où une qualification professionnelle assure un métier n’est donc plus valable. Aux savoirs, savoir-faire et savoir être, doit désormais s’ajouter le « savoir évoluer », dans le monde professionnel notamment (Loufrani-Fredida et Saint Germes, 2013). Les jeunes doivent donc acquérir des compétences qui leur permettront de s’orienter tout au long de leur vie et ainsi, détenir les compétences pour s’adapter aux évolutions économiques rapides.

De plus, l’approfondissement des démocratisations des régimes politiques, la reconnaissance progressive des libertés individuelles et la montée de l’individualisation donnent une place nouvelle à ces politiques qui mettent la reconnaissance de l’individu et de ses choix (de formation/travail) et sa connaissance de lui-même au cœur de leurs programmes.

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Ces évolutions centrales ont conduit depuis 20 ans un ensemble de pays, d’abord anglo-saxons (Angleterre, États-Unis, Australie…), puis nordiques (Norvège, Finlande, Suède…) et asiatiques (Corée) à renouveler le paradigme des politiques d’orientation dont le champ d’action se trouve très largement élargi.

L’éducation à l’orientation : un nouveau modèle

Au service ponctuel destiné à accompagner les élèves en difficulté se sont substituées des politiques plus ambitieuses d’orientation tout au long de la vie.

Ces politiques d’orientation visent non plus uniquement à aider à trouver à court terme une formation professionnelle, mais à apprendre à s’orienter dans le système de formation initiale puis tout au long de la vie pour ajuster au mieux ses compétences professionnelles.

Ces politiques comportent deux dimensions saillantes :

  • Une éducation au développement de compétences de gestion de carrière dans le sens large du terme (connaissance de soi, de son identité, stratégie d’apprentissage (métacognition), capacité de prise de décision, capacité de recherche de formation, d’emploi, d’analyse de marchés de l’emploi…) ;
  • La constitution de bases de données informationnelles sur les formations et l’emploi solides, actualisées, impartiales et dont les interfaces d’utilisation sont orientées sur le consommateur pour éclairer ses décisions (vs base de données qui découlent d’une logique de producteurs d’information).

En Australie, la plateforme MyFuture (myfuture.edu.au) est utilisée par 1,5 million de personnes qu’elle accompagne au cours de leurs études puis dans leur insertion professionnelle. L’objectif est de fournir un « guichet unique » qui couvre tous les besoins d’information des jeunes, avec des entrées par métier mais aussi par formation. Il permet d’enregistrer ses propres objectifs de carrière. Cet usage du numérique répond à un défi géographique, car l’Australie abrite 3,7 millions d’élèves (de 12 à 18 ans) et 1,7 million d’étudiants, très dispersés sur le territoire. MyFuture s’appuie sur une plateforme déjà utilisée par 90 % des étudiants, sur laquelle ils peuvent se connecter avec les mêmes identifiants que ceux de l’espace numérique de leur institution scolaire.

Ces politiques répondent à trois objectifs, qui sont le plus souvent explicités :

  • Rendre les systèmes éducatifs plus efficaces et efficients (choix plus pertinent, limitation des abandons/redoublements) ;
  • Favoriser la construction d’une population active, en développant par anticipation ses compétences personnelles pour favoriser la croissance économique future ;
  • Développer une politique de cohésion sociale, de réduction des inégalités de genre et sociales d‘accès à la formation.

Concrètement, ces politiques :

  • Débutent dès le primaire, par des activités visant la meilleure connaissance de soi par l’élève pour tenter de lever les formes de déterminismes sociaux et de genre : l’éducation à l’orientation se développe sous forme de continuum, tout au long de la scolarité, en adaptant ses étapes au développement des élèves ; elle commence dès le primaire dans certains pays (Finlande, Québec…), avec un travail sur la connaissance de soi et de ses aspirations : les recherches montrent en effet que son efficacité est alors maximisée, notamment en ce qui concerne la lutte contre les inégalités sociales dans les parcours (Bimrose et al., 2008) ;

En Australie, une recherche sur les aspirations de carrière des étudiants de divers contextes socio-économiques montre l’importance de travailler sur les aspirations dès le primaire et pas seulement sur les dernières années du secondaire (Gore et al., 2017). Les dispositifs de « cordées de réussite » visant à soutenir les élèves défavorisés par un travail de soutien scolaire se sont montrés peu efficaces : les politiques visent actuellement à développer les aspirations dès le début de la scolarité dans le cadre d’une éducation inclusive, en complément du soutien académique.

  • Intègrent des outils types portfolios : ces outils permettent d’analyser les évolutions des élèves ;

En Ontario (Canada), un portfolio « All about me » est proposé aux enfants à partir de la maternelle pour évaluer ce qu’ils savent d’eux-mêmes et leurs aspirations d’avenir. Il est aussi un outil de dialogue avec les parents d’élèves. Il s’agit de favoriser un développement identitaire en permettant à l’élève de percevoir ses intérêts et aptitudes.

  • Intègrent l’orientation dans les programmes scolaires, sous forme de cours obligatoires pour l’ensemble des élèves (Finlande, Écosse, provinces canadiennes…) : connaissance de soi, de son identité, stratégie d’apprentissage (métacognition), capacité de prise de décision… ;

En Ontario (Canada), le cours « exploration de carrière » est obligatoire dès la 10e année (équivalent de la classe de 2nde). Des enseignements optionnels peuvent également être suivis entre la 9e et la 12e année (les dernières avant l’enseignement supérieur). Les cours développent, en plus de la connaissance de soi et de compétences liées à l’orientation (prise de décision,…), les habiletés d’apprentissage, les savoir-faire en matière de relations interpersonnelles, et interrogent le rapport au changement.

En Colombie Britannique (Canada), différents cours obligatoires d’éducation à l’orientation et de gestion de soi représentent 60h par an, de la maternelle à la 12e.

En Finlande, les élèves reçoivent des conseils concernant leurs apprentissages et leurs choix éducatifs dès l’âge de 7 ans (début de la scolarité obligatoire). Dans l’enseignement secondaire supérieur général, un cours obligatoire est complété d’un cours de spécialité. Les deux sont suivis pendant trois ans, à raison de 38h par an. Des périodes d’expérience professionnelle sont aussi mises en place comme suit : 1-2 jours de familiarisation au travail avec le personnel de l’école (6e) ; 1-3 jours à l’extérieur de l’école, par exemple, sur le lieu de travail des parents (5e) ; 10 jours hors de l’école, avec un maximum de 6 heures de travail par jour (3e).  Dans l’enseignement professionnel, un minimum d’une semaine et demie par an consacrée à l’orientation est obligatoire.

  • Développent des actions auprès de classes entières : l’objectif est ici de limiter les mécanismes d’autocensure qui empêcheraient certains élèves de profiter des actions mises en place ; des entretiens collectifs peuvent également être menés ; l’accompagnement individuel est ciblé sur les moments clés, en fonction des besoins des élèves ;
  • S’appuient sur l’expérience et le retour d’expérience : l’éducation à l’orientation favorise l’apprentissage par l’expérience et propose un retour réflexif sur cette expérience : immersion dans les filières visées, immersion en entreprise individuelle ou collective, mentorat avec des interventions de professionnels formés et d’élèves/étudiants plus âgés…
  • Mobilisent l’ensemble des parties prenantes : communauté éducative (y compris les parents), collectivités territoriales, entreprises, associations, enseignement supérieur, mais aussi services de l’emploi…

En Allemagne, depuis 1971, les conseillers professionnels du service fédéral de l’emploi (SFE) interviennent dans les établissements, dans chaque classe, pour donner des cours de deux heures lors de l’avant-dernière année d’enseignement obligatoire, ainsi que pour des cours complémentaires et ateliers d’orientation ou des entretiens individuels de très courte durée. Les élèves se rendent également dans les centres d’information professionnelle du SFE pour des entretiens approfondis.

  • Visent à lutter contre les stéréotypes : les actions menées peuvent conduire à réduire les inégalités sociales et de genre liées à l’autocensure des jeunes.

En Angleterre, le programme Aimhigher puis les programmes d’Outreach, favorisant la rencontre entre les universités et les lycéens ainsi que les périodes courtes d’immersion de ceux-ci dans des filières universitaires, a permis de rassurer certains élèves sur leur légitimité à faire des études supérieures. Le programme s’adresse également aux parents au travers des maisons de quartier. Pour les jeunes dont les parents ne sont pas allés à l’université, un travail pour développer leurs aspirations pour des métiers qualifiés et des études supérieures débutent dès le primaire.

En Autriche, Bulgarie, Allemagne, Italie, Lituanie et Slovénie, le projet « Boys in Care » financé par la Commission européenne a pour objectif d’inciter les jeunes hommes à s’orienter vers des formations menant à des professions à dominante féminine (soins de santé, soins gériatriques, éducation de la petite enfance, enseignement primaire…). Enseignants et conseillers d’orientation sont alors mobilisés, suite à une formation, et reçoivent des mallettes à outils (des stratégies, des connaissances, des mécanismes, des outils pédagogiques…), qui leur permettent de soutenir des jeunes hommes quant à leurs choix atypiques de vocation. Cela permet d’élargir les choix de ces élèves, d’accroître leurs possibilités de réussite et de lutter contre les stéréotypes de genre.