Pratiques enseignantes


Pratiques enseignantes : différenciées des autres matières et en évolution

Une succession de modèles d’enseignement et des critiques de l’approche actuelle

Depuis son introduction récente au milieu du 19e siècle, l’enseignement des langues a évolué et a vu s’enchainer différents modèle pédagogiques. Cette analyse historique vient éclairer les pratiques et orientation pédagogiques de l’enseignement des langues aujourd’hui (Puren 1988 ; Girard, 1995 ; Pouly, 2012).

L’enseignement d’une langue vivante à tous les élèves de 6e débute en 1863. L’introduction de la 2e langue dans le cursus est faite avec la réforme de 1902 (elle ne deviendra obligatoire qu’en 1998). L’anglais (pour le côté économique) et l’allemand (pour le côté philosophique) sont les deux langues privilégiées.

Les cours privés apparaissent dès la fin du 19e siècle. Ces cours sont l’un des marqueurs d’une différenciation sociale par la pratique des langues vivantes : les enfants de la bourgeoisie doivent avoir un niveau supérieur à ceux des autres.

La méthode traditionnelle d’enseignement des langues repose sur :

  • une priorité donnée à la démarche grammaticale (exercices d’application, vocabulaire) ;
  • une place importante de l’écrit et des contenus littéraires ;
  • le recours au français comme moyen d’explicitation, la traduction est un exercice important.

Le caractère abstrait des activités, coupées de la pratique et les résultats disproportionnés par rapport au coût intellectuel de cette méthode lui valent de nombreuses critiques.

En opposition à la méthode traditionnelle, la méthode directe repose sur l’idée de l’apprentissage « naturel » d’une langue (semblable à celui d’un enfant qui apprend avec sa famille). Cette méthode postule qu’il est possible de faire penser les élèves directement en langue étrangère. Elle repose sur :

  • une priorité donnée à l’oral, sans passer par l’écrit ;
  • un enseignement de la grammaire sans passer par l’explicitation des règles ;
  • des contenus axés sur la vie quotidienne, en appui sur des situations concrètes ;
  • l’enseignement des mots étrangers sans passer par le français.

L’insuffisance de la description grammaticale et lexicale et le manque de formation des enseignants à la méthode font apparaitre des difficultés.

La méthode active évolue par rapport à la méthode directe en proposant :

  • un équilibre entre l’oral et l’écrit ;
  • un rééquilibrage vers un apprentissage raisonné ;
  • la possibilité d’utiliser ponctuellement le français pour aider à la compréhension.

Cette méthode continue de s’appuyer sur des situations concrètes. L’articulation entre les deux types d’apprentissage est cependant difficile à trouver. Elle privilégie par ailleurs les activités de production et les compétences de compréhension sont peu exploitées.

Les années 70 voient revenir une méthode proche de la méthode directe, avec une place forte accordée à l’oral. Le laboratoire de langues est emblématique de cette méthode. Cette méthode comporte cependant des éléments nouveaux :

  • l’imitation et la mémorisation par les élèves ;
  • l’utilisation conjointe de l’image et du son comme point de départ, pour minimiser le recours au français, même dans l’apprentissage de la grammaire et du vocabulaire ;
  • l’apprentissage de la grammaire en situation, par raisonnement inductif interrogatif.

Cette méthode sera rapidement abandonnée, supposant plus de temps que prévu par la durée de l’enseignement pour être efficace. Fondée sur des principes behavioristes (notamment de la répétition et imitation), elle permet d’améliorer l’intonation en langue, offre peu de capacités réflexives sur la langue et sa validité se trouve limitée aux premières années de l’enseignement.

L’approche communicative se caractérise par :

  • une priorité donnée à la compétence de communication orale et à l’acte de parole ;
  • des objectifs d’enseignement déterminés par l’analyse des besoins des élèves en termes de fonction de communication ;
  • une approche intuitive de la grammaire (fin de l’apprentissage formel de la grammaire et des exercices de mise en pratique) ;
  • une utilisation généralisée de la langue étrangère étudiée (plutôt que le recours au français) pour diffuser toutes les consignes en classe.

Les résultats de cette approche sont peu probants : la place du français est mal définie, les instructions sont peu suivies dans les pratiques effectives. L’équilibre entre les différentes composantes de l’enseignement est complexe. L’accent est trop mis sur la compétence orale au détriment des autres compétences langagières et de la capacité à réfléchir sur la langue. L’utilisation exclusive de la langue étrangère au détriment du français notamment pour toutes les réflexions sur la langue et consignes apparait particulièrement négative pour les élèves en difficulté scolaire.

La méthode actionnelle a été promue par l’Union européenne. Le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) du Conseil de l’Europe a été conçu dans l’objectif de fournir une base cohérente et aussi exhaustive que possible pour l’élaboration des programmes de langues et l’évaluation des compétences. Ce cadre propose 6 niveaux de référence : utilisateur élémentaire (A1 et A2), utilisateur indépendant (B1 et B2) et utilisateur expérimenté (C1 et C2). En 2001, il découpe la compétence en langues en cinq activités de communication langagière :

  • compréhension de l’oral ;
  • expression orale en continu ;
  • interaction orale ;
  • compréhension de l’écrit ;
  • expression écrite.

Le cadre se donne pour objectif la diversification du choix des langues et le développement d’une compétence plurilingue chez les apprenants. Une compétence transversale à apprendre les langues, en plus des compétences propres à chacune des langues, doit rendre les individus capables d’en apprendre de nouvelles (ce qui pourrait par exemple leur être demandé dans le contexte professionnel). Le cadre met également en avant les contenus culturels associés aux langues.

En France, les programmes scolaires ont été adossés au CECRL à partir de 2006, proposant une évolution de l’approche des langues étrangères au travers de l’approche dite actionnelle. Cette approche prolonge la méthode communicative en y associant en fin de séquence pédagogique une tâche communicative (faire un exposé, réaliser un poster…). Elle vise à donner du sens aux apprentissages et accorde une place prépondérante à la dimension sociale. Comme le souligne le rapport Manès-Taylor (2018), cette méthode a pu présenter des bénéfices en termes d’apprentissage par la pratique de la langue et l’accroissement de la motivation des élèves plus aptes à saisir les objectifs des cours ainsi que les différentes compétences à atteindre dans la maitrise d’une langue (compréhension de l’oral, expression orale…).

En revanche, selon les recherches de Gruson (2006) et plus récemment le rapport Manès-Taylor (2018), faute de formation continue des enseignants pour promouvoir efficacement cette méthode pédagogique complexe à mettre en œuvre dans les classes, « la mise en activité des élèves a pu conduire à certaines dérives en devenant l’unique enjeu du cours de langue, une fin en soi, au détriment de la finalité première d’apprentissage de la langue (…) et de l’acquisition d’une connaissance plus ou moins approfondie de la culture de l’aire linguistique étudiée ». Il est aussi reproché à cette approche – « de conduire à des productions d’élèves simplifiées, souvent répétitives, peu exigeantes et peu ambitieuses. »

Dans le primaire, le cours de langue s’est bien installé dans les classes

Les dix dernières années montrent des progrès importants dans les pratiques pédagogiques d’enseignement des langues au primaire. Alors que cet enseignement tenait les enseignants à distance faute de compétences perçues dans ce champ, désormais cet enseignement s’est quasi-généralisé.

Les enseignants, interrogés dans les questionnaires de contexte Cedre pour l’anglais en 2016 (Depp, MENJ), déclarent faire 2,1 séances de langue (en moyenne) par semaine, chacune ayant une durée de 45 minutes. Ces résultats dénotent une adéquation parfaite avec ce qui est inscrit dans les programmes scolaires français. Les rapports d’inspection générale mettent cependant en évidence que sur certains terrains, les heures de langue étrangère peuvent servir parfois de variable d’ajustement lorsque le temps vient à manquer pour les autres disciplines (Igen, 2010).

Par ailleurs, Cedre 2016 montre que plus de 80 % des enseignants interrogés indiquent n’avoir suivi aucun stage de formation en lien avec l’enseignement des langues vivantes étrangères au cours des 5 dernières années et seuls 11,6 % sont titulaires d’une licence d’anglais.

Une crainte à enseigner les langues au primaire

Les enseignants en formation interrogés se déclarent en insécurité par rapport à leur maitrise de la langue (Behra, Cnesco, 2019) : ils n’osent pas parler une langue étrangère, se considèrent comme faibles en langues, alors qu’ils considèrent qu’il faut avoir un bon niveau en langue pour l’enseigner. Par ailleurs, la majorité des étudiants de master 1 de retour de stage (2 semaines) déclarent ne pas avoir assisté à des pratiques d’enseignement des langues.

Dans le secondaire, comparaison inédite des pratiques des enseignants de langues comparées aux autres matières

Grâce à un traitement inédit des données de l’enquête TALIS 2013 (Depp, MENJ) réalisée auprès des enseignants de collège, le Cnesco a conduit, pour la première fois, une analyse des pratiques et de la formation des enseignants de langues comparativement à celles des enseignants d’autres matières (français, histoire, maths et sciences). Elle met en évidence une imprégnation forte de la mise en activité des élèves autour de projets concrets et de l’expression orale. L’explicitation du vocabulaire et de la grammaire apparait en retrait dans d’autres études.

Dans la classe, moins de bilans mais plus de travaux en groupes

L’enquête, bien que déclarative, permet d’avoir une vision de la manière dont se déroulent les cours de langues.

Les enseignants de langues sont moins nombreux (50 %, contre 63 % pour leurs collègues) à faire référence à un problème de la vie courante pour montrer l’utilité des nouveaux acquis. De même, s’ils sont 68 % à déclarer présenter un résumé de ce qui vient d’être vu en cours, c’est nettement moins que leurs collègues dans l’ensemble des autres matières (76 %).

En revanche, s’ils déclarent largement faire travailler leurs élèves sur des exercices systématiques jusqu’à ce que tous aient compris, cette pratique n’est pas généralisée pour autant (62 %). Le travail en petits groupes (34 % contre 24 % pour leurs collèges) et sur des projets (21 % contre 14 %) est plus développé par les enseignants de langues.

***

L’enquête SurveyLang (2011) apporte également un éclairage sur les pratiques enseignantes au collège. Ainsi, les enseignants français font partie de ceux déclarant donner le plus d’importance à la prononciation. Ils se concentrent moins sur le vocabulaire et sur la grammaire. En France comme ailleurs, l’aspect culturel est parmi les plus négligés dans l’enseignement des langues.

L’enquête Depp (2010) s’intéresse à la place de l’oral et de l’écrit. Les enseignants de langues déclarent majoritairement associer l’écrit et l’oral durant leur cours (61 %). 37 % déclarent privilégier l’oral. Pourtant, ils considèrent plus largement que les élèves attachent plus d’importance à l’écrit (79 %) qu’à l’oral (47 %). Dans le détail, l’écrit sert avant tout à garder une trace du cours (27 % des enseignants) mais également à maitriser les compétences de la matière (25 %), mais assez peu à s’exprimer de manière autonome (13 %).

Une évaluation écrite mais aussi orale

Les enseignants de langues déclarent très majoritairement (92 %) que l’évaluation s’effectue sur un test qu’ils ont eux-mêmes élaboré, alors qu’ils sont peu nombreux à s’appuyer sur des tests standardisés (10 %). De plus, ils sont 72 % à procéder à une évaluation des élèves en les interrogeant à l’oral devant la classe, bien plus que leurs collègues des autres matières (58 %).

En revanche, l’auto-évaluation reste une pratique à la marge, déclarée par seulement 17 % des enseignants.

***

Un rapport Igen (2007) montrait que les enseignants évaluaient les langues à 25 % avec l’oral et à 75 % avec l’écrit. Les enseignants rencontraient des difficultés à évaluer de manière fiable les activités langagières orales. En compréhension de l’oral, ils indiquaient le faire une ou deux fois par trimestre. En interaction orale, les enseignants ne faisaient pas de réelle différence entre évaluation des compétences à l’oral, contrôle de la leçon précédente et participation globale de l’élève. Pour 20 % des enseignants, l’évaluation de l’oral se résumait à une correction de la moyenne trimestrielle en fonction de la participation en classe.

Une répartition différente du temps de travail hors de la classe

Au-delà de leurs heures d’enseignement, les enseignants de langues déclarent, en moyenne, 14 heures de travail supplémentaire, un niveau similaire à celui de leurs collègues enseignants dans d’autres matières (français, histoire, maths et sciences). Pour autant, ce travail se répartit différemment (Figure 4). Ainsi, les enseignants de langues déclarent passer plus de temps sur la préparation de leurs cours que leurs collègues mais moins de temps sur la correction des copies des élèves.

Temps de travail déclaré par les enseignants hors de la classe, en heures par semaines

Une formation et un accompagnement trop limités

Les enseignants de langues se considèrent tout à fait préparés aux contenus disciplinaires qu’ils ont à enseigner (à 91 %). Cependant, plus d’un tiers d’entre eux déclarent ne pas être préparés aux pratiques de classe dans leur matière (39 %) et à la pédagogie appliquée aux contenus enseignés (37 %). Ce ressenti est néanmoins plus faible que dans les autres matières (respectivement 50 % et 47 %).

Au même titre que dans les autres matières, seul un enseignant de langues sur deux (54 %) déclare avoir participé à des stages de formation continue lors des 12 derniers mois. Cette participation est en moyenne de 3,5 jours sur l’année. De plus, seuls 35 % des enseignants de langues déclarent avoir participé à des activités de formation professionnelle en groupe.

Près de la moitié des enseignants de langues (46 %) déclarent, tout comme leurs collègues, ne recevoir aucune incitation à participer aux activités de formation continue. Ils sont également nombreux à mettre en avant une incompatibilité d’emploi du temps avec la formation continue (44 %), un manque de temps à cause des responsabilité familiales (44 %) et le fait qu’aucune activité de formation continue proposée ne convient (36 %).

Les besoins de formation mis en évidence par les enseignants de langues portent avant tout sur trois points : leurs compétences dans le domaine du numérique (plus que leurs collègues), la prise en charge d’élèves ayant des besoins spécifiques d’éducation ainsi que le conseil et l’orientation professionnelle des élèves.

Une mobilité à l’étranger développée

La France fait partie des rares pays européens où le fait de passer une période à l’étranger est officiellement inscrit dans le parcours des enseignants (Eurydice, 2011), sans pour autant spécifier la durée de cette mobilité. 63 % des enseignants de langues en France ont déjà été à l’étranger pour des raisons professionnelles ; ce taux est parmi les plus élevés d’Europe (TALIS, 2013).

4 265 mobilités d’enseignants et personnels ont eu lieu en France en 2018 (+69 % par rapport à 2017) (Erasmus+, 2019). 53 % ont effectué une formation et 46 % un stage d’observation dans un établissement scolaire.

Les recherches montrent que les expériences à l’étranger entrainent des gains significatifs, en plus de l’évolution des compétences langagières, en termes de connaissance de soi, confiance en soi ainsi qu’une meilleure compréhension de la diversité (Sarré, Cnesco, 2019).

Des ressources pas toujours adaptées pour l’enseignement des langues

Une grande diversité des manuels scolaires

Une analyse de 36 manuels d’anglais de collège montre qu’ils recensent environ 20 000 mots et expressions différents, dont seuls 18 % sont communs à tous les manuels (Peereman, 2019). Plusieurs centaines des mots les plus fréquents de la langue n’y figurent pas.

Par ailleurs, peu de manuels proposent un travail réitéré et espacé des termes, en les faisant réapparaitre au fil des pages (Milton et Vassiliu, 2000) : les mots liés au thème du premier chapitre ne seront plus (ou peu) revus dans les chapitres suivants, organisés autour d’autres thèmes, ce qui limite les capacités de mémorisation lexicale des élèves.

Une ouverture au numérique à développer

La France était, en 2011, le pays européen le moins équipé en laboratoires multimédia pour langues (moins de 15 % des établissements). Des pays comme les Pays-Bas ou l’Espagne déclaraient alors être équipés à hauteur d’au moins 60 % (Depp, 2012).

Pour autant, des outils numériques tels que eTwinning (plateforme permettant de créer des projets entre écoles européennes) sont très utilisés. En France, en 2017, 41 000 enseignants (dans 18 000 écoles et établissements) travaillent sur cette plateforme.